Ron Mueck et Guy Ben-Ner se servent tous deux de la vraie vie et de leurs proches pour créer leur oeuvre aux antipodes l'une de l'autre. Le premier fait des sculptures hyperréalistes, l'autre se filme chez lui dans des scénarios disjonctés. L'un fait peur, l'autre fait rire, à l'Espace Shawinigan.

Ron Mueck et Guy Ben-Ner se servent tous deux de la vraie vie et de leurs proches pour créer leur oeuvre aux antipodes l'une de l'autre. Le premier fait des sculptures hyperréalistes, l'autre se filme chez lui dans des scénarios disjonctés. L'un fait peur, l'autre fait rire, à l'Espace Shawinigan.

On a beau avoir vu les sculptures de Ron Mueck l'an dernier au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, on reste impressionné en les retrouvant à l'Espace Shawinigan de la Cité de l'énergie. Un nouveau-né géant - une fille en fait - d'une longueur de 17 pieds, taché de sang, un bout de cordon ombilical encore attaché au nombril, côtoie une petite vieille ratatinée, pas plus grande qu'un chat, caché sous ses couvertures. Ainsi va la vie, se dit-on. En rapetissant.

Les sculptures hyperréalistes de cet ancien spécialiste d'effets spéciaux au cinéma sont moins nombreuses à Shawinigan qu'à Ottawa. Dans ce gigantesque espace industriel où l'on traitait l'aluminium autrefois, elles ont tout de même une force percutante. Mais qu'il s'agisse de la maman mettant au monde un enfant, de la femme géante dans son lit, ou de la tête immense d'un nouveau-né, l'expression des visages reste difficile à déchiffrer. Pas de sourire, pas de cri. Une sorte d'inquiétude existentielle.

On peut voir dans des documents écrits et visuels comment l'artiste travaille pour obtenir une telle ressemblance avec la réalité. Plus vrai que vrai? Non, tout est faux, aucun personnage n'ayant une taille normale.

Ben-Ner, papa artiste

Il paraît que Guy Ben-Ner, artiste vidéaste d'origine israélienne, a fait un choix crucial dans sa vie. En 1994, à la naissance de son premier enfant, une fille, il a décidé qu'il serait à la fois un bon papa et un artiste. Il resterait à la maison et créerait ses oeuvres sur place, ou dans son voisinage, avec une caméra vidéo la plus humble possible. C'est ainsi que sa vie quotidienne en compagnie de ses enfants (il en a deux) et de sa femme, fait partie intégrante des oeuvres.

Cette prise de position donne des résultats inattendus. L'artiste part de quelques coups de coeur: son amour pour Buster Keaton, pour Robinson Crusoe, pour quelques oeuvres d'art connues, par exemple, et il construit des histoires. Il fabrique une île dans sa cuisine et se déguise en Robinson. Il déconstruit un arbre fait de morceaux de meubles pour recréer sa cuisine. Il déguise ses enfants en autruches. Il fait jouer L'enfant sauvage (inspiré de Truffaut) à son petit garçon qui vit dans sa chambre comme s'il s'agissait d'une forêt...

Les vidéos sont parfois projetées sur de grands écrans dans des installations. Mais il y en a aussi, dans des petits écrans de télévision, qui sont plus anciennes. Dans l'une de ces vidéos, on met du temps à reconnaître que la tête ronde qui chante un hit des années 50 est en réalité le gland d'un pénis sur lequel deux boutons servent d'yeux, tandis que le méat est manipulé de manière à former la bouche, qui chante. C'est crampant! Cette vidéo est accompagnée de dessins d'appartements où l'on voit un homme en habit, le pénis sorti du pantalon et attaché à une ficelle qui le relie par des poulies à un mécanisme susceptible de le tuer si jamais il bouge. Serait-ce là une manière de métaphore des obligations du mariage?

Pas très loin, un autre petit écran diffuse un film de Buster Keaton dans lequel une maison pleine de gens est ballottée par le vent tandis que le mime essaie en vain de retourner à l'intérieur par la porte ouverte qui passe trop vite devant lui. L'humour absurde de Buster Keaton est encore aujourd'hui d'actualité. Et il y a un peu de Keaton chez Guy Ben-Ner, un jeune artiste israélien en pleine ascension qui vit aujourd'hui à Berlin.

Pour la dernière fois

C'est la sixième et dernière année que L'Espace Shawinigan sert de rallonge estivale au Musée des beaux-arts du Canada qui y présentait des artistes d'envergure internationale grâce à un budget spécial accordé par le gouvernement à cette fin précise. Le gouvernement conservateur a mis fin à cette exception. Le bâtiment, qui fait partie de la Cité de l'énergie, est un lieu d'exposition formidable pour l'art contemporain. On ne sait pas qui aura les moyens de prendre la relève du Musée des beaux-arts du Canada et de son directeur, Pierre Théberge.

La vraie vie. Ron Mueck et Guy Ben-Ner à l'Espace Shawinigan, Cité de l'énergie, Shawinigan. Ouvert tous les jours, de 10h à 18h, jusqu'au 1er septembre. Infos : 819 537-5300 ou 1 866 900-2483.