Une enlevante affaire de faux monnayeur qui, à sa sortie de prison, part à la recherche de sa sulfureuse fiancée tombée entre les griffes d'un ancien chasseur de primes. La petite ville de Carleton-sur-Mer, dans la baie des Chaleurs, baigne tout l'été dans une atmosphère western. Avec L'Assassinat d'Andrew Jackson, l'auteur Philippe Ducros attaque de front les idées fondatrices des États-Unis et, ce faisant, déboulonne le mythe de «l'American Dream».

Au café le Pique-Assiette, sympathique troquet où l'on sert le meilleur expresso de Carleton, des photos captant l'essence de l'Amérique profonde ornent les murs. À un jet de pierre de là, au Quai-des-Arts, on peut admirer le reste de cette collection photographique signée Philippe Ducros avant d'assister au spectacle de vilains cow-boys à la couenne dure.

Cet été, Carleton a des airs de Far West.

«Je voulais voir ce qu'il restait du mythe du rêve américain, dans un pays où le président est un shérif planétaire qui dit You're either with us or without us», évoque Philippe Ducros, assis dans le gazon du Quai-des-Arts, sous le soleil gaspésien.

Habité du désir «de faire un théâtre ouvert sur le monde» et de la soif de créer hors du carcan montréalais, Ducros a précédé l'écriture de L'assassinat d'Andrew Jackson d'un vrai de vrai road trip créatif. «J'ai parlé à Gary Boudreault - le directeur artistique du théâtre À tour de rôle - de ce projet de faire un western qui rejoindrait la sensibilité des gens d'ici. J'ai ensuite obtenu une bourse qui m'a permis de partir en Westfalia avec Ludovic Bonnier, de La Nouvelle-Orléans à Las Vegas en passant par la Californie.»

De West en Est

«Nous nous sommes inspirés du duo Sergio Leone-Ennio Morricone. En voyageant, on se parlait, on se lançait des idées. On allait voir des concerts, on allait dans les magasins de musique, et Ludovic réfléchissait à la musique qu'il allait composer. Quant à moi, je prenais des notes et j'écrivais sur les endroits que nous visitions», raconte l'auteur qui, un peu plus tard, se fera photographier au volant de la fameuse Westfalia.

Autodidacte et engagé, Philippe Ducros est de ceux qui ont préféré la route aux bancs d'école pour se former artistiquement et humainement. Sa première pièce, Diapodiaspora, a été nourrie de ses voyages au Proche-Orient et en Chine. En janvier dernier, il s'est rendu en Afrique de l'Ouest pour présenter Boulevard Sauvé, une pièce qui a comme contexte les rues glaciales de Montréal. Après avoir écrit sur la Palestine, les Inuits, la Bosnie, il a eu envie de parler des États-Unis et de leur septième président - qui, soit dit en passant, n'a pas été assassiné.

«Je me suis intéressé à Andrew Jackson parce que à travers lui réside tout le rêve américain. Premier président issu du petit peuple, il incarne le mythe voulant que tout soit possible en Amérique. Or, il a fait sa fortune en tant que marchand d'esclaves», explique Philippe Ducros.

La réalité du western, la quête du territoire, les massacres, le règne des hors-la-loi Philippe Ducros - qui signe la mise en scène de L'assassinat d'Andrew Jackson - rappelle ici que les histoires de bons et de méchants des westerns sont nées d'un territoire construit sur une terre volée avec des esclaves. C'est ce mythe (et ses ramifications) qu'il assassine.

Pourquoi créer en Gaspésie, à 1000 km du circuit montréalais? D'abord pour franchir les frontières et amener la création hors des sentiers balisés. Parce que, dit-il, les jeunes créateurs peinent à trouver à Montréal des lieux où diffuser leur travail. «J'adore la région. Je rêve de me trouver un petit coin et de passer une partie de ma vie ici. Faire du théâtre l'été, c'est une façon de remettre quelque chose à la région. En même temps, c'est une façon de démocratiser le théâtre.»

Le «semi-exil» de Ducros n'est pas une entreprise solitaire. D'autres artistes - comme son copain le cinéaste Élie Laliberté - font foi d'une effervescence culturelle dans la baie des Chaleurs. «Entre Carleton et Bonaventure, on sent qu'il se passe quelque chose. Ça groove.»

Compliqué, de convaincre six comédiens de s'exiler à Carleton tout l'été? «En général, quand tu leur proposes de travailler dans des conditions convenables, au bord de la mer, les gens disent oui.»

L'assassinat d'Andrew Jackson, texte et mise en scène de Philippe Ducros, musique de Ludovic Bonnier, jusqu'au 22 août au Quai-des-Arts de Carleton-sur-Mer.