Il y a six ans, Martin Léon a fui la ville. Il n'en pouvait plus de ce qu'il appelle «l'égocentrisme» de Montréal. «Même moi, je me suis mis à avoir un gros ego», dit-il, tout en laissant clairement entendre que ça ne lui ressemble pas et que ça ne lui a pas plu du tout. Il lui fallait partir. Se trouver un «cocon naturel».

S'éloigner, soit, mais s'isoler, pas question. Martin Léon ne veut pas devoir prendre sa voiture pour aller chercher du lait. «Je me suis installé dans le coeur du village de Sainte-Adèle, à deux minutes du Cinéma Pine et du lac Rond», dit l'auteur, compositeur et interprète à qui on doit notamment l'album Le facteur vent. La nature, la vraie, n'est pas bien loin : 15 minutes de vélo et il se retrouve dans le bois avec sa canne à pêche.

Martin Léon a grandi à Québec, dans le quartier Saint-Roch, à une époque où ce coin de la basse ville de Québec n'attirait pas précisément une faune branchée. C'était un quartier populaire ouvrier. Son goût du grand air et son amour de la nature ne lui viennent pas de là, bien sûr, mais plutôt de ses nombreux étés passés au chalet de sa grand-mère, à Notre-Dame-des-Laurentides.

«Ces moments-là ont été les plus salvateurs de mon enfance. Avec mon frère, à huit ou neuf ans, on remontait la rivière Jaune en pêchant. Le soir, c'était les feux de camp. Ma première guitare, les premiers baisers... Les Laurentides, c'est le symbole de ce que j'ai aimé le plus durant mon enfance», raconte celui qui est de passage à Québec cette semaine pour faire partie du jury des prix Miroir, les récompenses du Festival d'été.

Retour à la maison

Il est tout naturel, dans les circonstances, qu'il ait regardé vers le nord lorsqu'il a voulu s'éloigner de Montréal. Ce n'est toutefois pas la seule raison. Martin Léon n'est pas du genre à s'émouvoir d'un paysage bucolique ou des courbes sensuelles d'une ligne d'horizon. Il aime la forêt et la nature vive en action, en transformation.

Ce qui lui fait du bien, c'est par exemple se poster là où une rivière se jette précipitamment contre d'immenses pierres, en humer les effluves de mousse et se rincer les oreilles de cette rumeur presque assourdissante. «Ça m'aide, ça m'inspire de côtoyer un lieu où la nature est en transformation. Ça brasse des idées, ça! Ça bouge, il y a de l'action là-dedans!» lance-t-il, en posant un regard brillant d'admiration sur la rivière Doncaster, qui gronde tout près de Sainte-Adèle.

La nature, selon le musicien, c'est la «meilleure cure» que l'être humain puisse s'offrir. Parce que «c'est notre maison». «La nature, pour moi, ce n'est pas une sortie, c'est un retour», dit-il. Martin Léon ne nie pas qu'elle soit un lieu de plaisir - c'est un pêcheur, il aime la randonnée et les feux de camp, mais il va aussi dans le bois pour réfléchir. Pour faire le point sur le cours de ses jours.

«On entend mieux nos désirs, on voit mieux ce qu'on veut faire de notre vie en nature que sur une terrasse en ville, estime-t-il. Quand j'ai une décision importante à prendre dans la vie, je viens en nature. Une fois sur deux, je viens ici.»

Plus grande que l'art

Revenu à Montréal depuis peu pour le travail, par envie («J'ai besoin de savoir où le monde des idées est rendu, comment il bouge», dit-il) et en raison du coût de plus en plus élevé de l'essence, il ne peut s'empêcher de penser que la plupart des humains a perdu contact avec son habitat naturel. Il suggère même qu'une grande partie des distractions urbaines ne visent qu'à compenser cette perte et à contrebalancer le sentiment d'aliénation qui vient avec.

L'exploitation des ressources le préoccupe et il souhaiterait que tous aient un meilleur accès à la nature, dans l'espoir de susciter une prise de conscience collective. Il aimerait que les décideurs privilégient une vision à long terme plutôt que d'opter pour les profits trimestriels. «Est-ce qu'on va vendre nos forêts pour s'acheter des télés et des foyers au gaz?» se demande-t-il.

Martin Léon dit ça sans animosité. Faire la morale aux autres n'est pas vraiment dans son karma. Son questionnement ne fait que témoigner de son inquiétude devant une beauté à laquelle il est profondément attaché. En pesant ses mots, il ose même avouer qu'il «soupçonne» la nature d'être plus grande que l'art, plus «importante» que le meilleur film ou le meilleur album, puisque «c'est elle qui est derrière tout ça».

Venant d'un homme qui consacre sa vie à écrire de la musique pour en faire des chansons, pour illustrer des films ou accompagner des pièces de théâtre, ce n'est pas un petit aveu. «Je pense que la nature aiguise ma façon de voir mon époque, ma façon de faire de la musique et ma façon d'aimer, ajoute-t-il. La nature me rend meilleur.»