La littérature qui parle de soi? Quelqu'un a dit: «Le romancier parle des autres, l'écrivain parle de lui». Mais on peut être les deux. À ce compte, François Nourissier a prouvé, au delà de la vraisemblance, qu'il est les deux. Un romancier, certes, et son imagination lui a fait créer des personnages qu'il serait trop long de nommer: tous prenants, tous forts, derrière lesquels pourtant n'importe quel lecteur pouvait sentir l'auteur, en filigrane. Quant à l'écrivain, Nourissier possède un ton, une musique, une couleur inimitables. C'est cela, le style.

En grandissant - c'est ainsi que dans mon village l'on disait: «Il est grand», par une sorte de pudeur, ou de peur, de ne pas dire: «Il est vieux» - en vieillissant, donc, l'écrivain prend de plus en plus de place, le romancier s'efface. C'est cela la littérature. À défaut de génie (2000) ou La maison mélancolie (2005) nous avaient accrochés avec bonheur à ce que l'on appelle l'autobiographie. Cela nous changeait de cette «autofiction» qui règne en despote dans le landerneau français et finit par nous fatiguer.

Voici aujourd'hui Eau-de-feu. C'est l'extrême, la confession, le dévoilement du pire, sans maquillage d'auteur. Le pire, ici, se nomme l'alcool. Cette eau de vie qu'il faut encore par pudeur, sans doute, ne pas appeler eau de mort

Quel beau geste que celui d'un écrivain, romancier brillant, maître en influences parisiennes, qui fut l'ami des plus grands (Aragon par exemple), qui se dénude et met en scène sa vie, le plus pénible de sa vie, non pas le Parkinson dont il est atteint, mais l'intrusion de l'alcool dans l'existence de sa femme, le peintre Cécile Muhlstein, et de lui-même, François Nourissier Il nommera ces deux personnages, coquetterie ou quoi, Reine et Burgonde. Cela ne trompera personne, il s'agit de Cécile et de François.

Alors, l'alcool? Qui a commencé, qui a offert, qui a séduit, qui a poussé l'autre en avant? Nous apprendrons que c'est lui, Burgonde, qui prendra peu à peu la faute. Voilà les accidents, les médecins, les cures Et lorsque Burgonde essaiera de ralentir le rythme des boissons fortes, il sera naturellement trop tard. L'alcoolisme ne se guérit pas. On ne naît pas alcoolique, on le devient? Brillante démonstration, à la fois cynique et douloureuse.

Un couple ravagé, voilà l'histoire. Complices dans la dépendance. Complices dans l'esclavage. Et à la fin de ce livre terrible: «Bien entendu, je n'ai pas cessé un seul instant d'aimer Reine. Quel sens tout cela aurait-il si je ne l'aimais pas?»

Eau-de-feu

François Nourissier Gallimard, 187 pages, 29,50$