Faut-il risquer sa vie pour rapporter des images des coins chauds de la planète? Cette question, qui a toujours déchiré reporters et photojournalistes, est plus que jamais d'actualité en 2012, une année que la communauté des photographes n'est pas près d'oublier.

«Deux de nos collègues ont été assassinés et deux autres kidnappés, rappelle James Estrin, photographe au New York Times et créateur du blogue Lens, consacré à la photo et à la vidéo.

«Il y a des questions à se poser sur les risques à prendre lorsqu'on est photographe et sur la responsabilité des entreprises de presse qui envoient des gens sur le terrain», poursuit James Estrin, de passage à Montréal aujourd'hui pour prononcer une conférence au Collège Dawson, dans le cadre de l'événement World Press Photo. Il y sera question du Printemps arabe et du rôle crucial des images dans cette révolution.

Le travail du photographe de presse a bien changé depuis que James Estrin a débuté au New York Times en 1987. Récipiendaire d'un prix Pulitzer pour sa série «How Race is Lived in America», en 2001, ce vieux routier regarde l'évolution du métier avec lucidité ainsi qu'avec un certain optimisme. Le web, par exemple, est selon lui une plateforme extraordinaire qui a libéré les photographes. «Avant, nous illustrions l'histoire de quelqu'un d'autre, explique-t-il. Avec le web et le multimédia, nous devenons des auteurs et grâce aux réseaux sociaux, nous pouvons diffuser notre travail.» Il y a toutefois un revers à la médaille: la crise des journaux et le déplacement des revenus publicitaires vers le web font en sorte que les journaux ont beaucoup moins d'argent à consacrer aux photoreportages. «Pas facile de débuter dans le métier et de développer son projet, note ce vétéran de la photo. Aujourd'hui, les jeunes qui débutent doivent absolument faire de la vidéo s'ils veulent se trouver un emploi, car les journaux en diffusent de plus en plus. Il faut aussi apprendre à financer nous-mêmes nos projets avec des outils de financement public comme Kickstarter.»

Les photojournalistes doivent aussi se tailler une place dans une mer de photographes amateurs qui, grâce aux iPhone et autres téléphones intelligents ainsi qu'à l'application Instagram, viennent concurrencer les photographes professionnels sur leur propre terrain.

«Quelle différence entre la photo de votre chien affichée sur Facebook, ma photo d'un chien et celle de Cartier-Bresson? On pourrait en discuter longtemps. Il y a le temps qu'on y met, l'expérience.» Cela dit, James Estrin n'a rien contre l'utilisation de l'iPhone en photographie de presse, mais à une condition: non aux filtres et à ce qui vient altérer l'image dans un contexte journalistique. «J'ai tendance à être orthodoxe à ce sujet. L'image doit être le plus fidèle possible à la réalité qu'elle représente.»

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