Personne n'a encore tiré la sonnette d'alarme, mais la situation est franchement préoccupante. Les chiffres fournis par Cinéac, firme spécialisée dans la compilation des statistiques du box-office québécois, n'indiquent rien de bien réjouissant cette année pour les artisans de notre cinéma national. Jamais n'avions-nous assisté à un aussi lent démarrage pour les films d'ici depuis 2001. Cela nous ramène à l'endroit où nous étions deux ans avant la première vague de succès en 2003 (La grande séduction, Les invasions barbares); quatre avant l'avancée historique de 2005 (C.R.A.Z.Y., Maurice Richard), et l'incroyable part de marché de 18,2% qui en a résulté. Depuis cet âge d'or, carrément exceptionnel, les statistiques illustrent évidemment un tableau plus réaliste. Cela est tout à fait normal. Même si les chiffres ne révélaient plus tout à fait le même engouement des spectateurs pour le cinéma québécois, certains films parvenaient quand même, bon an, mal an, à attirer les foules. De sorte que la part de marché s'est stabilisée au cours des dernières années. En 2010, celle-ci fut de 8,8%. En 2011, 9,9%.

En 2012, on frôle le désastre. À la lumière des chiffres publiés jusqu'à maintenant, c'est la seule conclusion possible que l'on puisse tirer. Sur les 20 films québécois sortis depuis janvier (parmi lesquels, il est vrai, plusieurs documentaires distribués à petite échelle), aucun n'a encore pu franchir la barre du million de dollars de recettes. Pour l'instant, le film québécois le plus populaire de l'année est Dérapages. Avec des recettes d'un peu plus de 675 000 dollars, le documentaire de Paul Arcand, lancé sur plus de 60 écrans à la fin du mois d'avril, trône loin devant La peur de l'eau. Le polar de Gabriel Pelletier occupe le deuxième rang avec 325 000 dollars aux guichets. Toujours en exploitation, Laurence Anyways suit avec des recettes de 312 000 dollars. À mi-chemin de cette année cinéma pour le moins difficile, seulement cinq films ont pu franchir la barre du 100 000 dollars au box-office. L'empire Bossé (Claude Desrosiers) et Rebelle (Kim Nguyen) sont en effet les deux autres productions à faire partie du peloton de tête. Cela dit, L'empire Bossé reste un échec sans appel, l'un des plus cinglants des dernières années, à vrai dire: 158 637 dollars de recettes pour un film à vocation populaire ayant bénéficié d'une énorme campagne de promotion, c'est carrément catastrophique.

Le rôle du «gros» film

Assiste-t-on à une vraie désaffection de la part du public envers «son» cinéma? S'agirait-il plutôt d'un simple concours de circonstances? Choisissons la deuxième option. L'histoire nous a en effet enseigné qu'en marge des productions destinées à séduire le plus large public possible, des films plus inattendus pouvaient aussi obtenir de véritables succès populaires. Ce fut le cas de La neuvaine (Bernard Émond) et, de façon encore plus spectaculaire, d'Incendies (Denis Villeneuve) et de Monsieur Lazhar (Philippe Falardeau). Même Le vendeur, magnifique film de Sébastien Pilote, a connu une belle et longue carrière en salle.

L'ennui, c'est que tout déraille dès qu'un «gros» film ne tient pas son rôle. D'où cette propension à miser sur des valeurs qu'on croit plus sûres et à faire appel à des vedettes qui, espère-t-on, sauront attirer le public. La recette ne fonctionne pas toujours. Même si Guy A. Lepage cumule les trophées et les accolades, les gens ne l'ont pas du tout suivi dans L'empire Bossé. Étrange phénomène.

De plus, les productions potentiellement multimillionnaires se font plus rares dans le calendrier. Dans le milieu, on fonde maintenant ses espoirs sur Omertà. Le film de Luc Dionne, qui prendra l'affiche le 11 juillet, possède sur papier tous les atouts du blockbuster québécois: des stars confirmées (Côté, Huard, Rousseau), un «nouveau venu» attirant beaucoup d'attention médiatique (René Angélil) et l'intérêt des admirateurs d'une série culte encore bien ancrée dans l'imaginaire collectif québécois. Reste à voir maintenant si, au-delà des bonnes ou mauvaises critiques, Omertà aura assez d'ascendant pour s'inscrire auprès des Piché, Sens de l'humour et autres Starbuck au palmarès des films les plus populaires.

Rayonnement international

Ironiquement, il appert que les films d'ici rayonnent bien davantage sur le plan international. Rebelle, le remarquable film de Kim Nguyen, s'est distingué au Festival de Berlin. Laurence Anyways, qui n'aurait certes pas déshonoré en compétition officielle, a été primé à Cannes dans la section Un certain regard. Ces jours-ci, une importante délégation québécoise se retrouve au Festival de Shanghai. La semaine prochaine, une délégation tout aussi imposante s'envole vers le Festival de Karlovy Vary. La société micro_scope, qui compte notamment Incendies et Monsieur Lazhar dans son catalogue, souhaitera probablement lancer Inch'Allah, le second long métrage - très attendu - d'Anaïs Barbeau-Lavalette, dans les grands festivals internationaux de l'automne. Starbuck prend l'affiche mercredi dans les salles françaises.

Les films québécois seraient-ils désormais destinés à briller davantage sur la scène internationale plutôt qu'à l'intérieur de leurs propres frontières? Si tel est le cas, ce monde à l'envers ressemblerait un peu à celui dans lequel évoluent les films wallons. Cela ne serait quand même pas une tare, cela dit. Sur le plan artistique, le cinéma belge n'est-il pas l'un des plus enviables de la planète?

Ce billet hebdomadaire fera relâche jusqu'au 10 août. Bonnes vacances!

mlussier@lapresse.ca