Il est déçu. Il a beau être l'un des très rares cinéastes à pouvoir se vanter d'avoir pu lancer ses trois premiers films au Festival de Cannes, Xavier Dolan s'attendait visiblement à un autre scénario. Que Laurence Anyways soit présenté dans la section Un certain regard plutôt qu'en compétition officielle ne constitue pas un camouflet, encore moins une rebuffade. Pourtant, cette sélection dans la section plus «discrète» du plus prestigieux festival de cinéma du monde laisse quand même un petit arrière-goût. Et vient marquer d'un soupir la progression fulgurante dans la hiérarchie cannoise de celui qu'on appelle «le jeune prodige québécois» dans les cercles cinéphiles.

La question a d'ailleurs été posée au délégué général, lors de la conférence de presse tenue hier à l'hôtel Intercontinental de Paris. Thierry Frémaux a répondu qu'à 23 ans, Xavier Dolan avait encore toute la vie devant lui et bien d'autres possibilités de sélections. «On me reprochera probablement de toujours le sélectionner en compétition dans une vingtaine d'années!»

Or, le jeune âge du cinéaste a toujours été un atout pour lui. Apparemment, voilà qu'il est devenu un handicap. Xavier Dolan admet être un peu confus devant ce paradoxe.

«Avoir la vie devant soi, je ne sais pas ce que ça veut dire, dit-il. Je suis un drop-out. J'ai commencé sur les plateaux de télé à l'âge de quatre ans. J'ai quitté le collège après un mois. Je ne peux pas concevoir d'«avoir la vie devant soi» comme philosophie. La plupart du temps, celui à qui l'on dit une telle chose se retrouve encore assis sur son cul, chez lui, 40 ans plus tard, à attendre que quelque chose se passe, sans que personne n'ait jamais entendu parler de lui. Je n'ai jamais pensé comme ça!»

Xavier Dolan a beaucoup d'ambition. Il ne s'en excuse pas. À cet égard, il est issu d'une génération lavée de tous complexes, de toutes inhibitions, et pour laquelle le monde ne sera jamais assez grand. Avec Laurence, Xavier se voyait déjà avec sa Palme d'or en main, plus jeune lauréat de l'histoire et premier cinéaste québécois à décrocher un tel honneur. Pendant toute la fabrication de son film, cette idée était là, bien ancrée dans son esprit.

«J'ai toujours voulu rêver au plus haut, dans la plus grande démesure, lance-t-il. Je ne veux pas d'ambitions terrestres. Je trouve malheureux qu'on enseigne le contraire dans les écoles au Québec. Je dis non à des expressions comme «Redescends sur Terre» ou «Arrête de rêver en couleur». Au contraire, il ne faut surtout pas s'imposer de limites dans ses ambitions ou dans ses rêves. C'est comme ça que j'ai commencé à voir Cannes dans ma soupe!»

Aux orties, donc, cette mentalité du gagne-petit «né pour un petit pain», quitte à froisser certaines susceptibilités. On peut d'ailleurs voir ces temps-ci une publicité, aussi mauvaise que le facsimilé de fromage qu'on tente de vendre, qui tourne autour de sa personnalité de «p'tit fendant».

«Il est important que le Québec s'affirme sur le plan identitaire et que sa culture rayonne, mentionne-t-il. Surtout à une époque où les échos qu'entendent les gens d'ailleurs proviennent d'un gouvernement plus belligérant, dans lequel on ne se reconnaît plus.»

Jeune et bitch

Xavier Dolan assume tout. Il dit être fier du travail accompli pour son nouveau film, qu'il estime être son meilleur.

«Je suis jeune, je suis bitch, je suis capable d'être très critique envers mon film, dit-il. Quand je regarde J'ai tué ma mère ou Les amours imaginaires, il y a des passages qui me sont douloureux. Et il me revient souvent dans ces cas-là une question que s'est lancée P.T. Anderson à lui-même dans l'un de ses commentaires pour un DVD: Why didn't you work? Quand on revoit un film, on se demande parfois pourquoi on n'a pas travaillé davantage. Pour Laurence Anyways, on a tout donné. Après, on verra comment les gens réagiront. Mais honnêtement, je trouve que ça fonctionne.»

Quelques heures après avoir appris la nouvelle, Xavier Dolan faisait contre mauvaise fortune bon coeur. L'exercice n'est certainement pas simple à faire quand à peu près tous les médias spécialisés en cinéma qui existent dans le monde vous désignent favori en vue d'une sélection en compétition officielle. Au moins, il aura encore de grandes ambitions à entretenir. Et une Palme d'or à aller cueillir.

mlussier@lapresse.ca