En se glissant dans la peau d'un riche tétraplégique, François Cluzet était pleinement conscient de la difficulté du rôle. Et de son caractère plus discret.

On dit souvent des rôles de personnages handicapés qu'ils sont «payants» pour les acteurs. En lisant le scénario d'Intouchables, François Cluzet, fort de sa quarantaine d'années d'expérience, a tout de suite vu que l'adage ne pourrait s'avérer cette fois. «C'est ce qui m'a intéressé dans ce projet, a raconté l'acteur récemment à Paris. Il y a une abnégation dans ce rôle. C'est justement parce que je n'ai pas le plus beau rôle que j'ai eu envie de le faire. Je me suis dit que j'allais tout donner à mon partenaire pour faire en sorte qu'Intouchables soit le meilleur film possible. Comme je vais tout donner à Omar, ça va forcément rejaillir sur moi. C'est à la fois très altruiste et totalement intéressé ! Le cinéma est un sport collectif. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas la balle que ça veut dire qu'on ne joue pas. »

L'acteur, lauréat d'un César il y a cinq ans grâce à Ne le dis à personne, fait partie de ces comédiens qui habitent de l'intérieur les personnages qu'ils incarnent. Inutile de dire que le rôle de Philippe, riche aristocrate devenu tétraplégique à cause d'un accident de parapente, constituait un défi particulier. «Je suis allé visiter Philippe Pozzo di Borgo, dont l'histoire a inspiré le film, où il vit au Maroc, raconte François Cluzet. Grâce à son attitude très déterminée, il fait plutôt envie que pitié. Il a d'ailleurs confié les droits de son histoire à Éric et Olivier sous la foi d'une promesse de comédie. Il n'aurait pas accepté autrement.»

Une incarnation physique

La rencontre avec l'homme dont on raconte l'histoire dans le film fut bien entendu déterminante en regard de l'état d'esprit du personnage. Restait à l'incarner physiquement. «On peut faire toutes les recherches qu'on veut, rien ne vaut le moment de la rencontre avec ce qu'on appelle l'accessoire chef, le fauteuil dans ce cas-ci, rappelle l'acteur. J'ai tenu à m'isoler quand est venu le moment de m'asseoir dans ce fauteuil pour la première fois. Je me suis assis. J'ai ressenti une profonde détresse. Comme si j'étais moi-même devenu handicapé à la suite d'un accident de moto. La douleur est telle, au début, que je me suis dit qu'il valait mieux mourir que d'être assisté. Ce fut mon secret pendant tout le tournage. Comme une mémoire sensorielle. J'ai aussi demandé à ce que l'appuie-tête soit le plus inconfortable possible. Je vois un peu ce métier comme un cycliste. Dans les cols, il faut accepter de se faire mal. »

Un envol particulier

Depuis 1980, année de son premier rôle important au cinéma (Cocktail Molotov de Diane Kurys), François Cluzet a toujours été très sollicité. Des films comme Round Midnight (Bert rand Tavernier) , L'enfer (Claude Chabrol) et même le film québécois Le vent du Wyoming (André Forcier) ont établi sa réputation. Il se trouve pourtant que la carrière de l'acteur a pris un envol particulier au cours des récentes années. Outre sa performance dans Ne le dis à personne, Cluzet a eu l'occasion de se faire valoir dans des films où des rôles très riches lui furent confiés : À l'origine (Xavier Giannoli), Le dernier pour la route (Philippe Godeau), Les petits mouchoirs (Guillaume Canet), pour ne nommer que ceux-là.

« Les beaux rôles sont des rôles de maturité, explique-t-il. Bien sûr, on a besoin de jeunes vedettes au cinéma parce que le public est très jeune et qu'il a besoin de s'identifier à ce qu'on lui montre sur l'écran. Mais en vérité, les beaux rôles sont très rares à cet âge. Quand on atteint soi-même une tranche d'âge où notre vie est pleine comme un oeuf, les rôles sont plus denses. Et on a tendance à aller vers l'essentiel, pas à fleurir les performances. »

Comme son par tenaire Omar Sy, François Cluzet a bien du mal à expliquer le succès phénoménal qu'a obtenu Intouchables en France.

« C'est très difficile à analyser, reconnaît-il. Ce que je peux dire, c'est que je suis très fier. Et heureux qu'un succès pareil arrive avec une comédie que j'estime réussie, plutôt qu'avec un film avec lequel j'aurais eu moins d'affinités. Intouchables est avant tout un film de divertissement. Une certaine presse plus intellectuelle aurait peut-être préféré une thèse de Roland Barthes, mais là n'était pas l 'ambit ion. L'approche est populaire. Et à cet égard, ce film a été conçu pour faire rire d'abord et avant tout. Et il fait rire. Si, en plus, le regard collectif que nous portons sur les handicapés change grâce à Intouchables, tant mieux. »

Intouchables prend l'affiche le 13 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.