Un nouvel épisode a été écrit dans le grand feuilleton des prix Jutra cette semaine. Dans le milieu du cinéma, on s'est beaucoup ému à propos d'une mention inscrite sur les bulletins envoyés aux quelque 6000 membres des associations professionnelles, à qui revient la tâche de déterminer les gagnants des Jutra. «Il n'est pas nécessaire d'avoir vu tous les films pour voter», peut-on lire. Du coup, l'organisation s'est placée dans l'embarras. Cette indication va en effet à l'encontre de celle publiée sur les mêmes bulletins au cours des années précédentes: «Voter dans une catégorie sans avoir vu les films équivaudrait à une injustice envers les finalistes.»

La maladresse fut immédiatement reconnue par Québec Cinéma, organisme responsable de la Soirée des Jutra. Son président, le producteur Pierre Even, a présenté ses excuses en évoquant un «défaut de formulation». Et il promet un correctif pour l'an prochain. L'incident devrait être clos. Mais les perceptions sont tenaces. Il y a fort à craindre qu'aux yeux du public, cette bourde entache sérieusement la légitimité des résultats dévoilés dimanche. Et ce serait bien dommage.

Si le mode de sélection des finalistes a maintes fois suscité la controverse (c'est encore le cas cette année), le palmarès des Jutra, lui, n'a jamais été déshonorant. Même si, parfois, on aurait préféré voir tel artisan monter sur la scène plutôt que tel autre, il reste que les lauréats ont toujours été bien choisis. Et méritaient de plein droit leur laurier.

Il faudrait être bien naïf pour croire qu'aucun vote à l'aveugle n'ait jamais été enregistré dans ce genre d'exercice. Même aux Oscars et aux Césars, où l'on dispose de plus de moyens, qui peut vraiment oser prétendre à l'intégrité absolue de tous les votants sans exception? Personne.

On compte sur la bonne foi des électeurs, leur sens des responsabilités, leur rigueur. Les membres des différentes associations professionnelles québécoises semblent avoir toujours fait preuve de probité à cet égard. Seulement 1000 d'entre eux environ - approximativement 17% - retournent habituellement leur bulletin dûment rempli. Les autres préfèrent s'abstenir. C'est tout à leur honneur. Est-ce justement pour tenter d'augmenter le nombre de retours que fut autorisé ce libellé maladroit, contraire à l'esprit de tout ce qu'on a prôné jusqu'à maintenant? Si tel est le cas, on ne peut que conclure à l'échec de l'opération. Aucune augmentation significative n'aurait été signalée. «Ce sont toujours les mêmes qui votent», a même précisé Ségolène Roederer, directrice générale de Québec Cinéma. Autrement dit, il n'y a aucune raison de croire que les résultats seraient plus faussés cette année.

Reste maintenant la question de l'accessibilité des films. Aux Oscars, l'Académie organise des projections destinées exclusivement à ses membres, tant à Los Angeles qu'à New York. En France, on fait parvenir aux électeurs des Césars un coffret contenant les DVD de tous les films retenus dans l'une ou l'autre des catégories. On compte évidemment moins de films dans la production annuelle québécoise. En tout, 38 longs métrages étaient admissibles aux Jutra; 22 ont décroché au moins une nomination. On présume que les artisans d'ici peuvent suivre l'actualité assez facilement. Les votants ont aussi eu la possibilité de rattraper les productions en lice lors des récentes projections organisées dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois. Plusieurs des titres sélectionnés sont déjà en vente en DVD. On peut ainsi accorder le bénéfice du doute à tous ceux qui ont pris la peine de remplir leur bulletin de vote. Et croire qu'ils l'ont fait en toute connaissance de cause.

Comme le disait très justement Sébastien Pilote (Le vendeur) à ma collègue du Devoir Odile Tremblay, il n'y a pas vraiment lieu «d'en faire tout un plat». «Je suis plus révolté de voir des citoyens exercer leur droit de vote sans s'être renseignés sur ceux qu'ils élisent», a-t-il en outre déclaré. Cela remet les choses en perspective.

Québec sait faire!

Non mais, sérieusement, ils doivent être un peu «tannés» à Toronto. Alors qu'ils pensaient tenir un candidat solide pour rééquilibrer un peu le jeu aux prix Génie, voilà qu'une autre production québécoise rafle la mise sur leur propre terrain. À la face de David Cronenberg de surcroît! Le réalisateur de A Dangerous Method, l'une des figures emblématiques du cinéma canadien (avec Atom Egoyan), a en effet dû s'incliner hier soir devant Philippe Falardeau. Monsieur Lazhar rentre de Toronto avec pas moins de six Génie sous le bras, dont ceux remis au meilleur film, à la meilleure réalisation, au meilleur acteur (Fellag) et à la meilleure adaptation. Starbuck, déjà lauréat de la Bobine d'or, a aussi fait belle figure en décrochant le Génie - très convoité - du meilleur scénario original, de même que celui de la meilleure chanson (ravissante Quelque part de Carole Facal). Café de Flore, Funkytown, Snow and Ashes, et Nuit # 1 ont aussi été inscrits au tableau d'honneur. À vrai dire, A Dangerous Method est le seul film «non québécois» à figurer au palmarès des Génie cette année. Vraiment, on s'excuse.

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