Une mise en nomination aux Oscars deux ans de suite, avec deux films différents produits par la même société, c'est du jamais vu dans les annales du cinéma québécois. Peut-être, mais pas pour Kim McCraw et Luc Déry de micro_scope qui, un an après Incendies, seront de retour sur le tapis rouge demain avec la bande à Philippe Falardeau et son Monsieur Lazhar. Leur secret? Faire les films de leurs amis et de leur génération.

Les locaux de la maison de production micro_scope ressemblent à une mini salle de rédaction. Tout est ouvert, vitré, transparent. Impossible, ici, de se cacher ou de parler sans être entendu par la totalité des employés qui, avec Kim McCraw, 43 ans, et Luc Déry, 48 ans, se comptent sur les 5 doigts de la main. Exactement. Le gazouillis d'un cours d'eau résonne doucement sur les dossiers et la paperasse empilés partout. On cherche en vain la fontaine qui produit ce bruit zen et rassurant. On finit par l'identifier. Ce n'est pas une fontaine. Ce sont les tuyaux de plomberie qui coulent.

La prochaine fois que la sémillante Krista Erickson, de Sun TV News, voudra traiter les producteurs de Monsieur Lazhar de millionnaires qui vivent aux crochets de l'État, faudra qu'elle vienne faire un tour, voir qu'ici, on ne fait pas d'argent. On fait des miracles avec trois fois rien. Et si la blonde animatrice veut mesurer l'effet d'entraînement qu'elle a auprès des téléspectateurs à qui elle a donné le numéro de téléphone de micro_scope pour qu'ils appellent et demandent des comptes, les producteurs seront heureux de lui fournir le rapport. Appels et courriels confondus de la part des protestataires et amis de Sun TV sont au nombre de six. Et dans chaque cas, les interlocuteurs ont commencé par féliciter les producteurs pour leur mise en nomination aux Oscars. C'est bien pour dire...

De grands amis

Assis côte à côte dans un petit café à deux portes de leurs bureaux, Kim et Luc racontent comment ils se sont connus, et plus important encore, reconnus, avant de produire Familia de Louise Archambault, leur première collaboration. Ils ne sont pas, et n'ont jamais été, un couple. Reste qu'en 10 ans de vie professionnelle, ils se sont disputés trois fois. «Et les trois fois, la chicane a duré 10 minutes», blague Kim pendant que Luc sourit en guise d'approbation.

Au départ, les chances qu'ils se rencontrent et travaillent ensemble étaient à peu près nulles. Kim est née et a grandi à Granby. Après le cégep, par un concours de circonstances, elle est devenue l'assistante d'un réalisateur d'émissions de marionnettes et pensait bien faire carrière dans le domaine. Luc, lui, est un natif de Hull, qui a étudié le cinéma à l'Université de Montréal avant d'aller faire un MBA en gestion des arts à l'Université York de Toronto. La vie a voulu que des amis communs, mordus de cinéma et issus de la génération X, les réunissent pour un court métrage étudiant tourné à Granby. Kim avait 17 ans, Luc, 22 ans.

«Ça a tellement cliqué entre nous qu'après le tournage, on est allés jouer au pool ensemble et qu'on est devenus instantanément amis», raconte Luc. Puis chacun est parti de son côté, Kim avec ses marionnettes, Luc en distribution chez Aska Films, Malofilm, puis Quatre par Quatre. C'est là qu'en 2002, Kim et Luc se retrouvent pour la production d'une pub puis d'un court métrage de Stéphane Lafleur qui porte le drôle de titre de Snooze. La chimie entre les deux opère tellement que l'année suivante quand Déry fonde micro_scope, il demande à Kim de s'associer avec lui. Déjà à ce moment-là ils ont le même but: faire des films d'auteur à petit budget qui traitent des préoccupations de leur génération à travers une forme et une sensibilité nouvelles.

Le succès auprès du grand public n'est pas une priorité. Ce qui compte pour eux, c'est de produire autrement, ce qui deviendra leur slogan. «On avait les mêmes goûts et le même désir de faire des films pas nécessairement faciles et légers, mais que nous, on aimerait voir», dit Kim.

Et Luc de renchérir: «Nos films ont toujours été le fruit de notre envie de travailler avec du monde de notre âge et de notre entourage comme Philippe Falardeau, le frère de mon grand chum Pierre, André Turpin, avec qui j'ai étudié, et Denis Villeneuve, que j'ai rencontré à l'époque du film Cosmos. Tout cela était plus organique qu'organisé.»

Le scénario d'abord

«They must be doing something right», a lancé Philippe Falardeau au journaliste qui voulait savoir comment Déry et McCraw avaient réussi l'exploit d'avoir une mise en nomination aux Oscars deux ans de suite. «Ils doivent faire quelque chose comme il faut.» En effet, mais quoi? «On choisit nos projets et on les accompagne étroitement depuis l'étape de la scénarisation jusqu'à la préproduction», avance Kim.

Luc complète en affirmant: «Valérie Beaugrand-Champagne, qui travaille très fort avec les réalisateurs sur le scénario et qui ne les lâche pas tant que tout le monde n'est pas satisfait du résultat, a contribué énormément à notre succès. Qu'on le veuille ou non, un film, ça part d'abord d'un scénario. Mais entendons-nous: deux films en nomination aux Oscars, c'est sûr que ça dit quelque chose sur nous en tant que producteurs, mais deux films de suite, soyons honnêtes, ça tient à la fois du miracle et du freak accident.»

Bon profil

Avec Incendies qui était un film épique de grande envergure, les producteurs s'attendaient à un certain retentissement. Avec Monsieur Lazhar, un petit film tout simple et tout sobre, ils ne s'attendaient à rien. «Comprenez-nous bien, on adore ce film, mais il a fallu cette première projection extérieure à Locarno et la réaction très émotive du public pour qu'on saisisse son ampleur et sa dimension», avoue Kim.

Déry, lui, voit les choses autrement: «En partant, si notre film a été choisi pour représenter le Canada, c'est qu'il avait le bon profil pour le processus et que des films comme Café de flore, Curling ou Marécages, qui sont excellents, n'avaient pas ce profil très particulier qui convient aux électeurs du comité des films étrangers de l'Académie. D'ailleurs, dès la première projection devant ce comité, notre relationniste américaine, nous a appelés pour nous dire que la salle avait réagi très positivement, ce qui était un signe en soi.»

Parce qu'ils sont moins innocents que l'an dernier et parce qu'ils comprennent mieux les enjeux et la game en général, les producteurs ne se font pas trop d'illusions. Cette année, un favori se détache clairement du lot. Il s'agit du film iranien Une séparation d'Ishgar Farhadi qui, en plus d'être en nomination comme meilleur film étranger, est aussi nommé dans la catégorie du meilleur scénario original. Pour en avoir le coeur net, Luc Déry est allé vérifier l'état des paris à Las Vegas sur le web. «Là aussi, Une séparation a une très longue avance sur tous les autres films», laisse-t-il tomber avec lucidité.

Reste que peu importe l'issue de la soirée, les producteurs ne veulent pour rien au monde manquer ce retour inattendu et inespéré aux Oscars. L'an dernier, la mécène montréalaise Phoebe Greenberg, qui avait contribué au financement d'Incendies, avait loué la maison d'Orson Welles pour tous les amis qui n'avaient pas de billets pour la cérémonie. Cette année, Kim et Luc se sont contentés de louer une modeste suite pour leurs copains. C'est là qu'ils vont terminer la soirée après le bal des Gouverneurs. Et peu importe s'ils reviennent ou non avec un Oscar, ils comptent bien savourer pleinement le moment, sans penser à demain et encore moins à l'an prochain.