Écrire un scénario de film est un travail solitaire. De plus, à trop fréquenter sa propre oeuvre, on en arrive à ne plus voir ses défauts. Pour éviter les pièges, mieux vaut prendre l'air. Et se farcir une petite remise en question. Comme à l'Atelier Grand Nord.

En ce dimanche soir de la fin du mois de janvier, les échanges sont vifs aux tables rondes installées dans la salle à manger du Château Montebello. Les scénaristes ont terminé leur longue journée de travail. La tête leur bourdonne. Et de quoi parlent-ils? De cinéma!

À la table des scénaristes québécois où La Presse est invitée, on devise sur The Tree of Life, dernier opus du réalisateur américain Terrence Malick. Force est de constater que la Palme d'or 2012 à Cannes ne fait pas l'unanimité. Le cheval de Turin, de Bela Tarr, suscite par contre des éloges.

Au cours des deux heures suivantes, le spectateur aura droit à une vertigineuse leçon de cinéma. Érudits, les convives. Et pourtant, dès le lendemain matin, ils se remettent à piocher sur les scénarios des uns et des autres. Les uns sont venus pour apprendre; les autres pour aider, conseiller, partager. Et encourager.

Voilà le cadre de l'Atelier Grand Nord.

Créé par la SODEC pour stimuler la coproduction et favoriser le réseautage entre gens de l'industrie du cinéma, l'atelier, qui en était à sa neuvième mouture, a pris une autre tangente avec les années. Désormais, c'est le rendez-vous convoité des scénaristes de la francophonie. Durant une semaine, ils se rassemblent, lisent tous leurs scénarios et discutent ferme sur les forces et les faiblesses de chacun.

Les participants - une vingtaine de consultants et scénaristes - proviennent cette année du Québec, de la France, de la Belgique et de la Suisse. Chacun voit son travail apprécié par trois experts au cours de rencontres individuelles en plus d'être mis à nu en plénière dirigée par le scénariste Claude Lalonde (10, Les trois p'tits cochons).

Pénible pour l'ego? Pas vraiment, répondent Sandra Coppola et Isabelle D'Amours, deux des quatre scénaristes québécoises participantes (avec Chloé Cinq-Mars et Katherine Jerkovic).

«L'atelier constitue une autre façon de travailler, dit Mme Coppola, qui a quelques courts métrages à son actif et travaille à son premier long, intitulé Aller simple pour Hong-Kong. Les rencontres nous permettent de déterminer ce qui ne marche pas dans le scénario et de trouver des pistes pour en sortir.»

Professeure de cinéma au cégep de Saint-Hyacinthe et réalisatrice du long métrage Les mots gelés, Isabelle D'Amours travaille quant à elle à un nouveau projet, Wigwam. «Faire un scénario, c'est travailler seule, rappelle-t-elle. Et à un moment donné, on a tellement le nez collé dessus qu'on n'en voit plus les problèmes.»

Regards extérieurs

En principe, les experts européens se penchent sur les scénarios québécois et vice versa. «Le but est d'avoir un regard extérieur, explique Laurent Gagliardi, directeur au contenu et aux affaires internationales à la SODEC. Il est pertinent de favoriser de tels échanges intellectuels, et l'Atelier Grand Nord est le seul en son genre dans la francophonie.»

Les experts invités viennent de terminer un film ou sont sur le point d'en commencer un autre. Ainsi, les experts québécois sont Micheline Lanctôt, dont le film Pour l'amour de Dieu est sorti en septembre 2011, et Rafaël Ouellet, qui vient de boucler le tournage du film Camion.

«Ce qu'on fait ici est un travail de création. On ne fait pas d'analyse. On fait avancer l'écriture, soutient Mme Lanctôt. Par exemple, un scénariste peut parfois être bloqué sur une scène. On s'y penche à plusieurs pour trouver les moyens de la faire avancer.»

Une vingtaine de films québécois et européens analysés au cours des huit premières années de l'activité ont eu une vie au grand écran (voir l'encadré). Parmi eux, Décharge, de Benoit Pilon. Pour ce dernier, qui a participé deux fois à l'atelier, une fois en tant que scénariste et la seconde à titre de consultant, l'événement n'a que du bon.

«L'avantage est de pouvoir se concentrer durant une semaine complète sur son scénario en dehors de toutes contraintes, dit-il. On en parle tout le temps. C'est très effervescent.»

Les frais de ce reportage ont été payés par la SODEC.