C'est certainement parce qu'il a de grandes qualités, une sensibilité, une finesse, une portée universelle que Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau a été sélectionné mardi parmi les cinq finalistes à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Il reste qu'une sélection aux Oscars se prépare comme un marathon, de longue haleine. Et que l'équipe derrière Monsieur Lazhar a mis toutes les chances de son côté afin que le candidat du Canada dans la catégorie du meilleur film étranger soit retenu dans la dernière ligne droite, parmi 63 longs métrages soumis par autant de pays.

On prépare une campagne en prévision des Oscars comme une campagne politique. Certains studios hollywoodiens investissent des dizaines de millions dans le marketing et la promotion d'un seul film. Monsieur Lazhar n'a coûté que 3,6 millions à produire...

Depuis quelques années, les campagnes pré-Oscars sont devenues de plus en plus agressives. Aussi, l'Académie des arts et des sciences du cinéma a édicté de nouvelles règles en septembre afin de mieux encadrer le lobbyisme auprès de ses membres par les distributeurs et producteurs de films.

Selon ces nouveaux règlements, d'ici la remise des bulletins de vote le 21 février, aucun membre de l'Académie ne peut être invité ou assister à un événement (repas, gala, réception) faisant de quelque manière la promotion d'un film en nomination aux Oscars. Les finalistes eux-mêmes (acteurs, cinéastes, etc.) ne pourront, d'ici la cérémonie du 26 février, assister à plus de deux projections officielles de leur film destinées aux membres de l'Académie... à qui l'on ne pourra servir d'alcool ni de nourriture (en toutes lettres dans le règlement). Bref, pas de party d'ici le jour J.

Philippe Falardeau compte participer à une ou deux séances de «Q&A» (questions-réponses) à Los Angeles au cours des prochaines semaines, organisées par son producteur montréalais, micro_scope, et son distributeur américain, Music Box Films, avec le soutien de la SODEC et de Téléfilm Canada. Depuis le temps qu'il fréquente des festivals, avec son humour et son charme, il est rompu à l'exercice.

«J'y serai, c'est sûr», dit Philippe Falardeau, en route pour les festivals de Göteborg et de Rotterdam, après son passage cette semaine au Festival de Sundance. Le cinéaste prévoit passer du temps aux États-Unis au cours du mois prochain, pour entre autres rencontrer des agences américaines. «Je n'ai pas l'intention de faire des films de studios, mais il y a peut-être d'autres propositions intéressantes», dit-il.

Les rencontres avec les cinéastes ne suffisent malheureusement pas à séduire l'électorat des Academy Awards. Surtout dans la catégorie de l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, où les règles se compliquent. Les électeurs doivent faire la preuve qu'ils ont vu, en salle, les cinq candidats en lice. Il est donc inutile pour l'équipe de Monsieur Lazhar de procéder à une distribution massive de DVD accompagnés de la célèbre phrase «For Your Consideration».

Ce qui ne veut certainement pas dire que les dirigeants de micro_scope, Luc Déry et Kim McCraw, vont se croiser les doigts d'ici le 26 février, en espérant que Monsieur Lazhar déjoue tous les pronostics en remportant l'Oscar à la barbe du grand favori, Une séparation, de l'Iranien Asghar Farhadi.

Ces jeunes producteurs, derrière le succès d'Incendies de Denis Villeneuve et donc finalistes pour la deuxième année consécutive aux Oscars, ont élaboré une stratégie à la mesure de leurs modestes moyens. L'an dernier, Incendies était soutenu aux États-Unis par le puissant distributeur Sony Pictures Classics (SPC), dont «l'autre» candidat, In a Better World de Susanne Bier, avait finalement remporté l'Oscar. Cette fois, SPC est derrière trois des cinq finalistes à l'Oscar... mais pas Monsieur Lazhar, distribué par une plus petite société, Music Box, sans grande expérience aux Oscars.

Depuis la présentation en septembre de Monsieur Lazhar au Festival de Toronto, traditionnelle rampe de lancement de la course aux Oscars, l'équipe de micro_scope a multiplié les efforts afin de mousser la candidature du film de Philippe Falardeau. Une attachée de presse hollywoodienne d'expérience, spécialisée dans ce genre de campagne, a été embauchée pour faire connaître Monsieur Lazhar aux États-Unis.

«Lorsque la course a commencé en septembre, nous avions une bonne longueur de retard sur les films qui avaient été présentés en compétition à Cannes ou à Berlin, dit Luc Déry. Mais le vent a tourné en novembre.»

Micro_scope a organisé avec le distributeur américain de Monsieur Lazhar une projection spéciale pour les électeurs des Golden Globes. Très peu de membres de la Hollywood Foreign Press Association étaient présents (le film n'a d'ailleurs pas été retenu parmi les finalistes aux Golden Globes), mais une trentaine de membres de l'Académie y étaient, ainsi que des journalistes de revues spécialisées et des blogueurs influents, qui suivent la course aux Oscars comme d'autres une saison de hockey. Philippe Falardeau était sur place pour les rencontrer.

«La réaction a été très enthousiaste, se rappelle Luc Déry. Il y avait une centaine de personnes. Quelques-uns des blogueurs ont parlé non seulement du film, mais de la réaction au film. On a senti que le buzz était très fort. Monsieur Lazhar est devenu l'un des films à surveiller. Phillipe a été choisi parmi les 10 cinéastes à surveiller du Variety. Le film a été sélectionné à Sundance. Il y a eu un effet d'entraînement.»

D'ici le 21 février, date ultime pour envoyer les bulletins de vote, micro_scope entend acheter de l'espace publicitaire pour Monsieur Lazhar dans Variety et The Hollywood Reporter, magazines incontournables de l'industrie, en annonçant des projections pour les membres de l'Académie. «Nous avons une position de négligé très intéressante, croit Luc Déry. Le film est très apprécié. Et s'il y a une catégorie où il y a souvent des surprises, c'est bien celle-ci!»

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca