Il y a 30 ans, Glenn Close incarnait sur scène une femme vivant dans des vêtements d'homme depuis 30 ans. Le personnage est resté en elle. Il lui aura fallu tout ce temps pour porter ce destin particulier à l'écran. Voici enfin Albert Nobbs, qui nous arrive accompagné de deux nominations aux Oscars.

C'était en 1982. Le nom de Glenn Close commençait à être connu du grand public grâce à son travail dans Le monde selon Garp - qui lui a valu une nomination pour l'Oscar de la meilleure actrice de soutien. Mais ce n'est pas devant les caméras que l'actrice a «rencontré» un personnage qui allait l'habiter pendant trois décennies. C'est sur la scène d'un petit théâtre off-Broadway, où elle jouait dans The Singular Life of Albert Nobbs. L'histoire se déroule à Dublin, au début du XIXe siècle. Elle est celle d'une femme qui, pour survivre dans le climat politique et social difficile du temps, prend une identité masculine. Elle a maintenant réussi (!) et est un maître d'hôtel respecté et apprécié.

Albert, donc, c'est elle. Depuis 30 ans.

«Dès que j'ai commencé à produire, je me suis dit que ça ferait un film formidable», a raconté l'actrice que La Presse a rencontrée au Festival de Toronto et qui, plus tôt cette semaine, a été mise en nomination pour l'Oscar de la meilleure actrice pour sa performance dans Albert Nobbs de Rodrigo Garcia - où elle campe le rôle-titre. «Il y a quelque chose d'extrêmement puissant dans ce personnage innocent qui ne s'apitoie pas sur son sort et qui, un jour, commence à formuler des rêves alors qu'il n'est absolument pas outillé pour les concrétiser.»

Parce qu'Albert, après sa rencontre avec l'imposant Hubert (Janet McTeer, en nomination pour la statuette de la meilleure actrice de soutien), se prend à espérer une «vie» normale. Une tabagie qu'il tiendrait. Une femme à ses côtés. Et il se met à faire une cour maladroite et bizarre à la jolie Helen (Mia Wasikowska), femme de chambre à l'hôtel. Laquelle a plutôt des visées sur Joe (Aaron Johnson), le bel homme à tout faire.

Réalisme magique

Amanda Seyfried et Orlando Bloom avaient été pressentis pour incarner le jeune couple. Mais le temps a passé et ils n'ont plus été libres. Ce qui n'a pas (trop) découragé Glenn Close, l'âme et le coeur d'Albert Nobbs, qui coproduit le film et a également planché sur le scénario. Une version qu'elle a ensuite confiée à Gabriella Prekop puis à John Banville, qui l'ont remaniée et «irlandisée» avant de la lui rendre pour qu'elle finalise le tout en compagnie du réalisateur d'origine colombienne Rodrigo Garcia.

L'actrice avait travaillé avec lui dans Nine Lives, et c'est lui qui a teinté Albert Nobbs de réalisme magique. Une pointe, ici et là. Quand Albert «voit» son avenir. Dans ces moments-là, l'espace d'un éclair, son visage, d'ordinaire si hermétique, s'ouvre.

C'est l'un des défis que Glenn Close a eu à relever. Plus durant le tournage qu'au théâtre, même si elle pouvait compter sur des décennies d'expérience en plus. Les gros plans font la différence. «Il y a tellement de couches à ce personnage! Il est une femme que tout le monde croit être un homme; il est un maître d'hôtel, donc le serviteur qui doit répondre à tous les besoins tout en étant invisible. Il y a une personnalité perdue dans cette non-expressivité calculée. Pour rendre cela, il fallait que je dose ce que je laissais passer. Combien est-ce que je révèle, combien est-ce que je garde à l'intérieur?»

Pas de travail devant le miroir pour elle, mais devant la télévision: elle a en effet étudié plusieurs films de Charlie Chaplin pour se préparer à incarner «ce petit homme à la silhouette chaplinesque». «J'ai aussi modifié la manière dont je bouge: il y a une formalité presque militaire chez les serviteurs de l'âge victorien. Et sous mes vêtements, je portais une bande élastique très large qui écrasait ma poitrine.» Après tout, cela fait partie de l'uniforme invisible qu'Albert s'est imposé. Glenn Close lui a ajouté des souliers un peu trop grands, trop lourds. Un chapeau. Un parapluie. Afin d'accentuer son caractère tragicomique.

Une expérience différente pour celle qui, au cours de sa carrière, a enchaîné les rôles de femmes fortes et qui, ici, se retrouve dans la peau d'une femme qui s'est effacée jusqu'à se retrouver prisonnière d'elle-même: «J'ai dû faire travailler mon imagination», rigole-t-elle avant d'admettre que son penchant naturel va vers la solidité.

On s'en doutait.

Albert Nobbs prend l'affiche le 3 février.