Peu de gens le connaissent. C'était là son plus grand drame. Dans une ultime tentative de se faire valoir, l'auteur, cinéaste et photographe Gordon Sheppard s'est confié à la réalisatrice Francine Pelletier pendant les quelques mois qu'il lui restait à vivre; condamné par un cancer, qui allait mettre un point final à son oeuvre.

Pour Gordon Sheppard, la mort n'était certainement pas un point final. L'artiste anglo-montréalais s'est prêté au jeu du documentaire convaincu qu'un jour, les gens voudraient savoir qui est l'homme derrière l'oeuvre qu'il a laissée.

Francine Pelletier s'est elle aussi prêtée au jeu, fascinée par cet homme plus grand que nature, créateur singulier, mais aussi profondément narcissique, qui était persuadé que sa mort contribuerait enfin à le faire connaître.

Cet échange de bons procédés a donné Gordon Sheppard ou l'art de bien mourir, un documentaire où, oui, on fait la connaissance d'un artiste à la fois brillant et marginal. Mais plus encore, on assiste aux derniers mois de la vie d'un homme très candide devant la mort, qui cherche jusqu'à la fin la reconnaissance.

Le film s'ouvre sur l'image du corps inanimé de Gordon Sheppard, le jour de son exposition funèbre, chez lui, dans sa maison du centre-ville. Sa femme Marguerite et sa fille Africa ajustent ses vêtements, lui rajoutent un peu de rouge aux lèvres. C'est assez morbide, il faut dire, mais ça donne le ton.

«La mort est toujours un tabou, estime Francine Pelletier, qui a filmé Sheppard de mai 2005 jusqu'à sa mort en février 2006. C'est quelque chose de très enveloppé. On n'expose plus nos morts à la maison, tout de suite on fait disparaître le corps. C'est pour ça que je trouvais passionnant que Gordon soit exposé chez lui. Entouré des siens, qui aident même l'embaumeur à mettre la dernière touche. Je crois que cette approche a le mérite de démystifier la mort.»

Le sens du spectacle

Dans une des scènes marquantes du film, Gordon Sheppard se fait prendre en photo enseveli par tous les flacons vides de médicaments qu'il a pris depuis le début de sa maladie, qu'il a combattue pendant près de 10 ans. «Il avait soigneusement planifié cette performance, précise la documentariste, en conservant le moindre flacon qu'il avait vidé. Il avait donc jusqu'à la fin le sens du spectacle.»

La première fois que Francine Pelletier a rencontré Gordon Sheppard, c'était dans le cadre d'un documentaire qu'elle préparait sur le suicide de grands créateurs comme Dédé Fortin et Hubert Aquin. Sheppard avait justement publié Ha!, A Self-Murder Mystery, un imposant ouvrage sur le suicide d'Aquin qu'il a mis 20 ans à écrire. C'est finalement le cinéaste Carlos Ferrand qui l'a convaincu de consacrer un film à Sheppard.

Les prétentions de l'artiste ne sont pas banales: son documentaire The Most, sur Hugh Heffner, aurait lancé la carrière du créateur de Playboy; son film nouvel-âgeux Eliza's Horoscope aurait aussi lancé la carrière du jeune Tommy Lee Jones; et son livre sur Hubert Aquin, il le comparait à Ulysses de James Joyce. Rien de moins.

Donc, quelle trace laissera Gordon Sheppard derrière lui? Difficile à dire, répond Francine Pelletier, qui a fait le tour de l'homme et de l'artiste. «Son exposition de photographies qui mettent en scène sa mère en train de mourir [avec qui il était en conflit] a certainement été marquante. Comme ses photos de Gérald Godin, elles aussi prises durant sa maladie. Son livre sur Aquin est remarquable. Malheureusement, il n'a pas fait une seule chose assez longtemps pour développer son oeuvre.»

«Au fond, sans trop m'en rendre compte, conclut Francine Pelletier, j'ai filmé le processus qui mène à la mort. Au-delà du portrait d'un homme inusité, suprêmement intelligent et, disons-le, imbu de lui-même, c'est une démystification de la mort que je propose.»

Au cinéma Excentris les 27, 28 et 29 janvier à 18h45.