Angelina Jolie n'avait pas l'intention de réaliser un film. Écrire un scénario, sur un sujet qui lui tenait vraiment à coeur, oui. Mais par un concours de circonstances, elle s'est retrouvée à la barre d'In the Land of Blood and Honey, qu'elle a tourné avec des acteurs bosniens, serbes et croates, dans leur langue et en anglais. Conversation avec une grande dame.

Angelina Jolie n'avait pas 20 ans quand elle a sillonné l'Europe, sac au dos. Lorsque ses pas l'on amenée aux abords de ce qui avait été la Yougoslavie, elle a eu honte. C'était quelques mois après la fin du conflit qui, de 1992 à 1995, a ravagé un pays, dressé ses ethnies les unes contre les autres.

«J'ai réalisé combien je savais peu de choses sur cette guerre, je me suis senti la responsabilité d'en apprendre davantage. Et plus j'apprenais, plus j'avais honte, plus j'étais en colère», explique l'actrice rencontrée à Los Angeles.

Honte de son ignorance. Colère devant la manque d'intervention des puissances mondiales. Et choc de réaliser à quel point ce drame était récent. «D'ailleurs, dans la manière dont nous avons tourné, utilisé les couleurs, la musique, je voulais qu'on ne perde jamais de vue que ce n'était pas la Seconde Guerre mondiale, que nous étions dans un passé tout proche», continue celle qui est, depuis 10 ans, ambassadrice de bonne volonté du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et qui, presque par accident, s'est retrouvée à réaliser In the Land of Blood and Honey, dont elle avait écrit le scénario.

L'écriture, elle, n'était pas un accident: «Je me sentais le devoir d'écrire cette histoire.» Celle d'une jeune femme musulmane (Zana Marjanovic) et d'un jeune homme serbe (Goran Kostic). Amoureux l'un de l'autre. Ils dansent dans une boîte de nuit, quand la bombe explose. C'est le début d'une guerre qui les séparera. Lui qui ne croit pas en la violence sera soldat. Elle sera prisonnière des camps, violée et battue. «Mais rien n'est noir ou blanc dans la guerre, et c'est la voie qu'emprunte ce film», note Zana Marjanovic.

Bref, Angelina Jolie, entre deux tournages, s'est installée au clavier et a couché cette histoire sur papier. Quand elle a eu terminé, elle l'a fait lire à son conjoint, Brad Pitt. Qui a aimé. Lui a conseillé d'envoyer le scénario à quelques producteurs potentiels. Non sans avoir, auparavant, effacé son nom du document - pour ne pas fausser la donne.

«Nous nous disions que si nous essuyions des refus, nous brûlerions ça et l'oublierions. Mais les gens nous sont revenus avec des notes et des commentaires», continue l'actrice. C'est ainsi qu'ils ont soudain eu l'argent nécessaire pour que le projet se fasse.

Le scénario a été envoyé, toujours anonymement, à des acteurs. «À l'avant comme à l'arrière de la caméra, je voulais des gens provenant de tous les camps, serbes, croates, bosniaques - qui pouvaient s'exprimer dans leur langue et en anglais, car j'allais faire un double tournage. Et je voulais réunir un groupe de gens généreux qui participaient à ce tournage pour les bonnes raisons. C'était au sommet de nos priorités.» Ce groupe, elle l'a réuni. Il ne manquait plus qu'un capitaine pour diriger les troupes.

Par défaut

«Je suis devenue la réalisatrice par défaut, pouffe-t-elle. Certainement pas la personne la plus qualifiée pour ça, mais sans aucun doute la plus motivée», admet celle qui dit s'être inspirée des façons de faire de Clint Eastwood - «Il s'entoure de bonnes personnes et est très économe du temps, il ne passe pas trois heures à discuter dans sa roulotte et ne multiplie pas sans raison le nombre de prises» - et de Michael Winterbottom, avec qui elle a tourné A Mighty Heart: «Il est merveilleux avec les acteurs, il parvient à nous faire oublier la présence des caméras, nous sommes alors vraiment dans la scène et la scène devient la réalité.»

Une réalité qu'Angelina Jolie s'est, parfois, sentie mal d'imposer à ses actrices. Lorsqu'elle leur a demandé de se dévêtir, de danser pour «l'ennemi», de simuler le viol. Sachant que certaines d'entre elles avaient connu cela. Ou connu des victimes de ces actes. Vanessa Glodjo, par exemple, était adolescente pendant le conflit. Le bruit des balles, il a sifflé combien de fois à ses oreilles lorsqu'elle allait à l'école? Et il y a eu cette voisine dont le bébé a été jeté par une fenêtre. La douleur, si intense et profonde, de la mère. Une douleur qui rend muet. «Je savais comment jouer cela», résume-t-elle - puisque c'est ce qui arrive au personnage qu'elle incarne.

Réalisatrice appréciée

Angelina Jolie l'a écoutée. «Elle est dans le milieu depuis toujours, elle a tourné la caméra vers les autres de façon très naturelle», assure Goran Kostic. «Et elle a écrit puis réalisé quelque chose de brillant et de très juste», ajoute Rade Serbedzija, qui campe le père du jeune homme. Ce qui n'a pas empêché les problèmes au moment du tournage, alors que des victimes musulmanes de la guerre ont affiché leur méfiance quant au projet. Le tournage, qui devait se faire en grande partie en Bosnie, s'est ainsi déplacé à Budapest et ses environs.

Mais lorsque le long métrage a été projeté à Sarajevo, en décembre, ses détracteurs ont loué son objectivé et sa sincérité. «C'était l'important pour moi», conclut Angelina Jolie qui assure avoir fait le film qu'elle voulait faire. «Mais je ne sais pas si je réaliserai de nouveau, sourit-elle. Il faudrait que je me sente appelée par une histoire comme je l'ai été par celle-là.»

In the Land of Blood and Honey prend l'affiche le 27 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm.