«Je vois un ruban rose et c'est comme si c'était écrit: Fabriqué en Chine», dit une femme dans la jeune quarantaine, en phase terminale d'un cancer du sein.

Cette phrase, prononcée pendant le générique de L'industrie du ruban rose, résume bien les préoccupations de plusieurs intervenants du documentaire de la Québécoise Léa Pool, qui prend l'affiche le 3 février.

Léa Pool, que l'on associe davantage à la fiction (Maman est chez le coiffeur), a consacré trois ans à ce film percutant et courageux, qui s'intéresse à «l'industrie» caritative et philanthropique entourant la lutte contre le cancer du sein.

L'industrie du ruban rose, documentaire fascinant et déstabilisant, produit (en anglais) par l'Office national du film, pose plusieurs questions (Où vont les millions amassés? À quoi servent-ils?) et n'hésite pas à dénoncer les entreprises qui profitent de cette «bonne cause» chérie des campagnes de marketing social.

Chaque année, 59 000 Nord-Américaines meurent du cancer du sein. En 1940, une femme sur 22 était menacée d'être atteinte de ce cancer. Aujourd'hui, c'est une femme sur huit.

À l'occasion de grands rassemblements, on court, on marche, on rame, on monte à cheval, on saute en parachute afin d'amasser des fonds pour la recherche sur cette maladie. Le film de Léa Pool ne met pas en doute la sincérité et le dévouement de toutes ces femmes qui s'activent au profit d'oeuvres caritatives. Mais il donne la parole à d'autres, qui remettent en question le bien-fondé de toutes ces campagnes drapées de rose.

À Samantha King, dont l'ouvrage Pink Ribbons, Inc.: Breast Cancer and the Politics of Philantropy a inspiré son documentaire, et qui dénonce la «tyrannie de la bonne humeur» entourant la lutte contre le cancer du sein, ainsi que l'absence de regard critique envers les entreprises qui s'associent à la «cause».

Aujourd'hui, on vend du yogourt ou des appartements en versant un pourcentage minime des recettes à la recherche sur le cancer du sein. On fait de même avec des boissons énergétiques, des voitures, des armes à feu, de l'essence, voire du poulet frit Kentucky (dans des barils roses, bien sûr).

«Il y a plus de marketing autour du cancer du sein qu'autour de n'importe quelle autre maladie», regrette la militante Barbara Brenner. Elle souligne avec ironie qu'en mangeant trois pots de yogourt par jour pendant quatre mois et en participant à la campagne de Yoplait contre le cancer du sein, on n'arriverait à amasser que 34$. «Envoyez plutôt un chèque!» dit-elle.

Léa Pool a rencontré de nombreuses participantes à des événements caritatifs ou spécialistes du cancer du sein, comme la chirurgienne Susan Love, qui trouve que l'on minimise les effets de la maladie et regrette que l'on ne consacre pas davantage d'argent à la recherche sur les causes du cancer (seulement 5% des sommes).

La cinéaste ne s'est pas contentée d'interviewer les seuls détracteurs du symbole fort qu'est le ruban rose. Elle a aussi rencontré Nancy Brinker, fondatrice de la Fondation Susan G. Komen, qui amasse annuellement des dizaines de millions de dollars pour la recherche sur le cancer du sein, et qui fait valoir qu'il n'y aura jamais assez de rubans roses pour mobiliser et sensibiliser le public à cette maladie.

Le film de Léa Pool nous apprend d'ailleurs que le fameux ruban est en fait le dérivé d'un ruban de couleur saumon confectionné par Charlotte Haley, au début des années 90, à la mémoire de sa fille et de sa mère. Lorsque le fabricant de produits de beauté Estée Lauder l'a approchée pour s'associer à sa lutte, Mme Haley a refusé que son ruban soit utilisé à des fins commerciales. Qu'a fait Estée Lauder? La multinationale a choisi une autre couleur pour son propre ruban, le rose, une couleur qualifiée de réconfortante par un échantillon de sa clientèle...

Elle a beau montrer les deux côtés de la médaille, Léa Pool a réalisé un film engagé. Sa démarche n'est pas dénuée d'indignation. On serait indigné à moins. Son film ne saurait en revanche être taxé de mauvaise foi, comme le sont certains documentaires de Michael Moore.

C'est un film qui dénonce l'opportunisme et l'hypocrisie d'entreprises qui profitent de la lutte contre le cancer du sein pour mieux se mettre en valeur. Et qui fait état de recherches troublantes sur des multinationales qui investissent à la fois dans la recherche contre le cancer... et dans des produits réputés cancérigènes, comme les hormones de croissance bovines. On trouve même du formaldéhyde, du pétrole et du plomb dans certains produits cosmétiques de sociétés associées à la lutte contre le cancer du sein.

«Si au moins il s'agissait d'un complot, on pourrait le mettre à jour. Ce n'est pas le cas. Les affaires sont les affaires. C'est tout», dit une militante. «C'est comme si notre maladie servait à faire faire des profits aux autres», regrette l'une des membres de la IV League, groupe de soutien aux malades en phase terminale du cancer du sein.

Déjà attendu dans plus d'une trentaine de salles canadiennes - «le nombre de salles augmente d'heure en heure», selon la porte-parole de l'ONF, Nadine Viau -, L'industrie du ruban rose risque fort, comme le souhaite la cinéaste, de susciter un débat de société. D'autant plus que Laureen Harper, femme du premier ministre canadien, s'est récemment associée à la campagne contre le cancer menée par Estée Lauder. On ne peut être contre la vertu et les bonnes intentions. Mais on ne doit pas cesser de poser des questions pour autant.

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