Mon amie Chantal Guy en parlait dans sa chronique de samedi. «Dans le roman moderne, le sexe est souvent triste et trash. Plus personne ne semble capable de jouir sans penser au vide de son existence et la déprime post-coïtale vire pratiquement au suicide.»

Il n'y a pas que dans le roman moderne que le sexe est triste. Dans le cinéma aussi. Deux films qui prennent l'affiche vendredi traitent de la sexualité dans cette optique de désarroi et de vacuité existentielle. Il y est aussi, dans les deux cas, question de suicide.

Mais ce qui distingue Alvin and the Chipmunks et Sherlock Holmes des autres films de l'automne...

Mais oui, je niaise. Parce que le sexe peut être ludique, heureux, harmonieux. On ne le croirait plus à constater ce qu'il inspire ces jours-ci aux artistes.

Dans Nuit #1 de la Québécoise Anne Émond comme dans Shame du Britannique Steve McQueen (Hunger), le sexe devient objet de fuite. Pratique compulsive, profondément triste dans sa répétition, où l'on semble vouloir se perdre pour mieux oublier les tracas de son existence.

Sexe désincarné, machinal et clinique, constamment interrompu, sur un matelas de lit simple installé à même le sol d'un appartement miteux, dans Nuit # 1. Sexe figé dans les archétypes de la pornographie, incapable d'exister dans la réelle intimité, dans des appartements de luxe avec vue sur les gratte-ciel new-yorkais, dans Shame.

Deux films empreints de la même détresse, de la même déroute, de la même déréliction chez des personnages pour qui le sexe semble être, dans sa finalité, une manière de fuir la solitude.

Clara (Catherine de Léan dans Nuit #1) est une enseignante de troisième année du primaire qui vit surtout la nuit, dans les bars et les bras d'inconnus. Le sexe est pour elle un exutoire à un mal de vivre. Une façon d'échapper à ses démons. De ne plus penser. De se trouver hors d'elle-même.

Brandon (Michael Fassbender dans Shame) travaille dans une tour de bureaux de Manhattan, où il possède un appartement. Sous ses airs de Don Juan flegmatique se cache un homme dépendant au sexe, à la pornographie, à la prostitution. Prisonnier de ses pulsions, dont il a honte. Il se masturbe dans les toilettes au travail, son ordinateur rempli de films xxx, et dérape des nuits durant, consommant le sexe des autres comme une drogue.

Mise en scène de la sexualité vécue comme une honte par des personnages torturés, qui s'en servent de manière maladroite pour communiquer (La honte est le titre de la version doublée en français de Shame au Québec).

On n'est jamais loin, forcément, du jugement moral. «Nous ne sommes pas des gens mauvais, nous venons d'un mauvais endroit», dit la soeur de Brandon (Carey Mulligan) dans Shame, elle-même rongée par ses propres démons. Clara évoque sa prise de conscience du cul-de-sac de sa vie, dans Nuit #1, alors qu'elle avait deux pénis d'inconnus dans les mains. À chacun ses épiphanies.

Le sexe est cru, même si l'on a passé l'âge et l'époque d'en être scandalisé. Nuit #1 est plus précis, disons, dans sa description de la sexualité que Shame, dont le sexe est plus central au récit, mais reste davantage dans l'évocation.

Les films sulfureux étant toujours précédés de leur réputation, je m'attendais sans doute à ce que Shame soit plus «graphique» dans sa sexualité, comme on dit à Hollywood. Question de culture, peut-être. Le sexe y est assez flou, dans tous les sens du terme, pour une activité qui n'en est pas moins intense. Ce n'est pas un film de Catherine Breillat, même si l'on découvre l'excellent Michael Fassbender (Prix d'interprétation à la Mostra de Venise) dans son plus simple appareil.

Tout a été montré du sexe au cinéma, il faut croire. Mais il reste encore bien des choses à en dire. La spirale de débauche dans laquelle s'emmure Brandon est fascinante. La réflexion clinique de Clara sur le sexe glace le sang. Sexe d'écorchés vifs, bouées de chair.

Deux films qui prennent l'affiche en même temps. Des romans qui traitent du même sujet. Une préoccupation commune. Instantanés d'une époque inondée de sexualité, à la télévision, dans la publicité, sur le web, qui semble paradoxalement avoir bien mal à son âme.

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca