La Ville de Montréal a-t-elle payé trop cher l'île Lapierre, acquise en 2008 grâce à un programme de dons écologiques? C'est ce que soutient l'opposition officielle, qui demande à la police de faire la lumière sur ce possible trafic d'influence. À la Ville, on maintient que la vente s'est faite en toute transparence.

Après la diffusion d'un reportage de Radio-Canada, jeudi soir, l'île Lapierre sème la controverse à l'hôtel de ville. Évaluée à 246 900$, l'île a été vendue 13,9 millions.

En novembre 2008, Montréal a annoncé l'achat de cette île située dans la rivière des Prairies, à l'est de Montréal. La Ville vante alors les richesses écologiques de l'île, propriété pendant trois décennies d'une famille d'entrepreneurs en construction, les Argento.

En 1981, les propriétaires annoncent la construction de 700 logements dans l'île. Mais le projet ne voit jamais le jour et, en 1994, le zonage de l'île change, passant de forte à faible densité.

Le propriétaire conserve toutefois un droit acquis pour y créer un ensemble résidentiel «substantiellement conforme» à son projet initial. En 2007, les Argento annoncent leur nouveau projet, Prestige de la rivière.

Une première demande de permis est déposée auprès de l'arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles en janvier 2007. Mais elle n'aboutit jamais: selon l'arrondissement, le promoteur n'a jamais réussi à soumettre un projet en «substantielle conformité» avec celui de 1981.

Don écologique

Des démarches sont entreprises pendant ce temps pour céder l'île grâce au programme fédéral-provincial de dons écologiques.

L'organisme Canards illimités est alors mandaté par la Ville pour réaliser l'acquisition. La firme internationale Altus, à la suite d'un appel d'offres, établit la valeur optimale du terrain à 13,9 millions, en tenant compte du zonage et des profits éventuels du projet le plus rentable qui peut y être autorisé. Tout a été fait selon les règles, dit le directeur général de Canards illimités, Bernard Fillion.

En novembre 2008, le promoteur reçoit donc pour l'île Lapierre 4 millions en argent comptant et 9,9 millions en crédit d'impôt. Au municipal, le terrain est évalué à 246 900$.

«On parle d'un rendement de 4000% libre d'impôt», dénonce la mairesse de l'arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles, Chantal Rouleau. Louise Harel croit que l'opération est le «projet immobilier avorté probablement le plus rentable de l'histoire».

L'opposition officielle s'étonne que deux avis divergents sur l'évaluation - celle d'une autre firme et l'avis d'un fonctionnaire - n'aient pas été présentés aux élus lors du vote de la vente, en novembre 2008.

«Qui a écarté ces avis divergents? Y a-t-il eu ingérence? L'administration Tremblay doit répondre», estime Mme Rouleau, qui a transmis le dossier à l'Unité permanente anticorruption.

La réponse de l'administration Tremblay ne s'est pas fait attendre. Hier matin, Alain DeSousa, vice-président du comité exécutif, n'a pas caché son irritation. «La Ville a payé 4 millions, mais c'est bien en deçà de l'évaluation du marché», a-t-il soutenu.

Certes, un fonctionnaire a bien estimé, dans une note datée de 2007, que le terrain devait être évalué selon le zonage actuel de l'île. Mais il a toutefois changé d'avis quelques mois plus tard, en soulignant que le propriétaire de l'île pouvait se prévaloir d'un droit acquis pour son projet résidentiel. C'est donc l'évaluation de 13,9 millions qui a été présentée au conseil municipal, en novembre 2008.

Enfin, la Ville a aussi défendu les vertus écologiques de l'île, mises à mal par le reportage de Radio-Canada. «C'est un terrain intéressant et rare pour l'est de Montréal. On peut le réhabiliter, en faire un parc», dit Daniel Hodder, chef de division à la direction des grands parcs et du verdissement.

L'acquisition était la «dernière chance de la Ville» de mettre la main sur l'île. «On avait le choix: est-ce qu'on donne un permis de construire ou est-ce qu'on conserve le parc? On a choisi le parc», dit-il.

Avec la collaboration de Charles Côté