La différence entre pornographie et érotisme? Le désir, voyons! Totalement absent des images crues de la porno et à l'opposé, raison d'être de l'imaginaire érotique.

Cette thématique est, si l'on peut dire, mise à nue dans Crazy Horse, le dernier film du plus français des documentaristes américains, Frederick Wiseman, qui ouvre ce soir les 14es Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

Belle prise, d'ailleurs, pour les RIDM que ce long métrage d'un des plus importants cinéastes de documentaires de notre époque. Auparavant, ce sont le FFM et le FNC qui s'arrachaient les films de l'artiste de 81 ans.

Obscur objet de désir, l'oeuvre de Wiseman a toujours dénoncé l'hypocrisie. Lui, citoyen d'une Amérique souvent pudibonde, mais aussi profondément pornocrate, se montre ici fasciné par les mécanismes de l'érotisme à la française que l'on retrouve dans le plus récent spectacle du cabaret Crazy Horse de Paris, s'intitulant d'ailleurs Désirs.

«L'attitude des Français face au sexe est fondamentalement différente de celle des Américains, raconte le cinéaste en entrevue exclusive à La Presse. En France, on dit en haussant les épaules: les gens font l'amour, vous savez. C'est beau et c'est ce qu'ils font en explorant les fantasmes, en suggérant plutôt qu'en montrant l'acte, comme on fait aux États-Unis.»

Mais il s'agit quand même d'une exploitation du corps de la femme? ose-t-on lui demander.

«Les danseuses du Crazy Horse font ce travail de façon volontaire. Ce sont des professionnelles sorties des conservatoires de danse qui, pour toutes sortes de raison, n'ont pas réussi à «faire» les grandes compagnies de ballet. Elles accomplissent un travail sérieux et très exigeant.»

Rien de sexy

Le film démontre qu'il n'y a rien de bien sexy à créer un spectacle érotique. Des heures et des heures de travail répétitif et éreintant, sous la férule d'un metteur en scène exigeant: Philippe Decouflé. Oui, le réputé chorégraphe qui a créé Iris pour le Cirque du Soleil à Los Angeles.

«C'est l'une des raisons qui m'ont amené vers ce sujet, avoue Fred Wiseman. C'est un artiste passionné qu'on voit déchiré entre le marketing du sexe, les attentes des propriétaires du Crazy Horse et ses propres visées artistiques élevées.»

Les RIDM projetteront une dizaine de documentaires de Wiseman cette année, un hommage bien mérité à celui qui a déconstruit plusieurs institutions américaines durant sa longue carrière: les prisons, les services sociaux, les hôpitaux, les écoles secondaires... Le cinéma de Wiseman est résolument social et engagé. À mille lieues des diktats du cinéma-vérité.

«Même si j'emploie les techniques du cinéma direct, je ne partage pas leur idéologie», dit-il, tranchant, au sujet des partisans de ce genre de documentaire qui affirment se rapprocher davantage de la réalité en installant une caméra passive chez des gens «vrais».

«Bullshit, poursuit-il presque fâché. Un film c'est un millier de décisions en montage, angles et prises de vues. Il n'y a rien de plus subjectif qu'un film documentaire.»

N'empêche que Crazy Horse représente probablement son film le plus glamour, le plus léché visuellement.

«C'est au diapason du sujet, soutient-il. J'ai toujours fait des films que je voulais les plus beaux possible. Il n'y a pas de contradiction entre le fait de dire des choses et de passer un message dans un film qui est beau à regarder.»

Après trois documentaires tournés en France, Frederick Wiseman retournera aux États-Unis en 2012 pour un nouveau documentaire-choc sur les travers de la société américaine. Il s'attaquera cette fois aux universités. Sans complaisance, promet-il.

«Après toutes ces années, c'est toujours difficile de financer mes projets. Chaque fois, je me demande si je dois ou non continuer.»

Merci de le faire, monsieur Wiseman!