C'est grâce à une vieille dame et à ses gâteaux que Ceci n'est pas un film de l'Iranien Jafar Panahi, qui prend l'affiche vendredi, a pu être présenté en première mondiale au Festival de Cannes en mai dernier.

Le cinéaste du Cercle et du Ballon blanc est assigné à résidence, à Téhéran, en attente de l'appel de sa condamnation à six ans de prison pour avoir participé à des rassemblements d'opposition au régime de Mahmoud Ahmadinejad. Il est également sous le coup d'une interdiction de réaliser et de scénariser des films pour les 20 prochaines années.

Bravant cette interdiction et le danger de représailles, Jafar Panahi a fait parvenir, 10 jours avant le Festival de Cannes, son «non-film» à des amis français. C'est une vieille dame voyageant entre Téhéran et Paris avec des gâteaux, où étaient dissimulées des clés USB, qui a servi d'intermédiaire.

Réalisé clandestinement avec le documentariste Mojtaba Mirtahmasb, Ceci n'est pas un film a ainsi pu être acheminé au Festival de Cannes, où il a été ajouté à la sélection officielle au tout dernier moment.

C'est le Français Loïc Magneron, proche de Jafar Panahi et distributeur international de sa dernière oeuvre, qui m'a raconté cette anecdote jeudi alors qu'il était de passage au Festival des films du monde. «Le film a été réalisé dans des conditions extrêmement compliquées, avec une caméra et un iPhone, qui a en fait été l'outil de la révolution, fait-il remarquer. C'est assez extraordinaire.»

Ceci n'est pas un film témoigne de la vie quotidienne de Jafar Panahi dans son appartement de Téhéran. Un appartement comme une cage dorée, dans un pays prison que le cinéaste a choisi, sciemment, de ne pas quitter. «Le film de Jafar et de Mojtaba est un engagement, dit Loïc Magneron. Ce n'est pas un film contre le gouvernement, mais un film pour la liberté d'expression. Jafar ne veut pas quitter son pays. Il l'aime et veut y exister.»

Dans ce documentaire au titre subversif où Panahi tient davantage le rôle d'«acteur» que celui de réalisateur ou de scénariste, on découvre le cinéaste rongeant son frein, filmant tout ce qu'il peut filmer, comme il respire. Un fauve en captivité reconstituant, grâce aux meubles de son salon, les scènes d'un film qu'on lui interdit de réaliser. Interrogeant dans l'ascenseur un étudiant intrigant qui pourrait aussi bien être un indicateur des autorités iraniennes. Ou discutant au téléphone avec son avocate, ses amis, sa femme.

Digression. J'ai rencontré la femme de Jafar Panahi par le plus pur des hasards à Cannes en mai. En retard pour une projection, je me suis faufilé dans une longue file grâce au concours de jeunes Iraniens, étudiants d'Abbas Kiarostami à Téhéran. Je leur ai raconté que le cinéaste du Goût de la cerise avait été président du jury du Festival des films du monde, et que c'est au FFM que Jafar Panahi avait fait ses dernières déclarations publiques à l'étranger, avant d'être arrêté dans la foulée de la Révolution verte.

Les étudiants m'ont confié qu'ils étaient justement accompagnés par Mme Panahi, qui m'a fait promettre de ne pas dévoiler son identité avant la fin du Festival. Elle était sur la Croisette en catimini, sous une autre identité, et seules quelques personnes étaient au courant de sa présence en France. Elle m'a rassuré sur l'état de son mari. «Son moral est bon. Il tient le coup», m'a-t-elle dit. Fin de la digression.

Malgré la gravité de son sujet, Ceci n'est pas un film, aux limites formelles évidentes (cela se comprend), n'est pas dénué d'humour ni d'espoir. C'est une démonstration par l'absurde des limites de la liberté d'expression dans un régime répressif. C'est aussi un document qui dénonce avec finesse l'injustice, et s'apprécie comme un complément essentiel à l'oeuvre de Jafar Panahi. La présentation de Ceci n'est pas un film sera d'ailleurs accompagnée, du 2 au 15 septembre au Cinéma du Parc, d'une rétrospective des longs métrages de ce héraut de la nouvelle vague iranienne, lauréat de plus d'une vingtaine de prix dans autant de festivals internationaux.

On pourra y redécouvrir Le ballon blanc, Caméra d'or au Festival de Cannes en 1995; Le miroir, Léopard d'or au Festival de Locarno en 1997; Le cercle, Lion d'or du Festival de Venise en 2000; Sang et or, Prix du jury Un certain regard à Cannes en 2003; et Hors jeu, Ours d'argent du Festival de Berlin en 2006.

La situation des cinéastes iraniens ne s'est guère améliorée depuis la condamnation de Jafar Panahi. La documentariste et militante des droits de la femme Mahnaz Mohammadi a été arrêtée à son tour en juin dernier, et il est devenu de plus en plus difficile de communiquer avec les artistes soupçonnés de contester l'autorité du régime.

«Le fait d'être en vie et le rêve de garder le cinéma iranien en vie nous encouragent à dépasser les restrictions actuelles du cinéma iranien», a écrit Jafar Panahi à propos de Ceci n'est pas un film. Ce à quoi Mojtaba Mirtahmasb, présent à Cannes pour partager cette tranche de la vie d'un artiste captif, a ajouté: «Zoroastre, le prophète iranien, disait: pour combattre l'obscurité, je ne brandis pas l'épée; j'allume une bougie.»

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