Jodie Foster retourne derrière la caméra pour un film dont le protagoniste est un homme dépressif qui doit sa survie à une marionnette. Rien d'évident. Surtout quand la vedette de The Beaver est un dénommé Mel Gibson...

Elle se présente à une interview en compagnie de deux journalistes montréalais et déclare d'emblée adorer l'accent québécois, qu'elle trouve «plus expressif, plus coloré», et qu'elle sait d'ailleurs bien imiter. Lors de la présentation de son nouveau film The Beaver plus tôt cette semaine au Festival de Cannes, Jodie Foster s'est même permis une déclaration en «québécois».

S'exprimant dans un français impeccable, la célèbre actrice américaine raconte avoir été inscrite toute jeune dans une école française à Los Angeles, tout simplement parce que sa mère, qui n'était alors jamais allée en Europe, a enfin pu un jour visiter la France. Elle est tombée amoureuse du pays sans pourtant jamais comprendre un traître mot de la langue de Molière.

«À son retour, elle m'a dit: tu parleras français! , raconte l'actrice. Pendant toute mon enfance, ma mère m'a aussi emmenée voir tous les films français qui passaient à Los Angeles. C'était, je crois, une façon pour elle d'échapper à son quotidien. J'ai toujours gardé une grande affection pour la culture francophone.»

C'était il y a deux ou trois semaines environ. Jodie Foster était de passage dans la Ville reine pour promouvoir The Beaver, son troisième long métrage en tant que réalisatrice. Quinze années séparent d'ailleurs sa dernière offrande de celle-ci.

«Il est vrai que ma dernière réalisation remonte à 1996, fait-elle remarquer. Depuis, j'ai travaillé en tant qu'actrice, j'ai fondé une famille, et j'ai aussi travaillé sur un projet de film, Flora Plum, dont on a dû annuler le tournage à deux semaines d'avis. Je ne parvenais pas non plus à trouver des sujets auxquels je pouvais m'intéresser en tant que réalisatrice. Et comme je suis davantage attirée par des trucs plus personnels, ces projets sont beaucoup plus difficiles à financer.»

Un grand défi

Elle estime que The Beaver fait justement partie de ce genre de projets. Scénarisé par Kyle Killen (Lone Star, la série télé), ce drame met en scène un homme dépressif dont l'unique chance de survie tient dans l'invention d'un alter ego, lequel prend ici la forme d'une marionnette. Le castor de peluche reste pour ainsi dire vissé à l'avant-bras de l'homme en tout temps, en toutes circonstances. Vie professionnelle et personnelle s'en trouvent profondément perturbés. Son épouse (qu'interprète Jodie Foster elle-même) se montrant compréhensive, il reste que la présence de cet «intrus» dans la maisonnée entraîne son lot de questions sans réponses.

«Je suis consciente du grand défi que constitue une proposition de la sorte, reconnaît Jodie Foster. Surtout pour les Américains. Ils ont du mal avec les concepts plus pointus, en l'occurrence, dans ce cas-ci, un film qui contient des éléments d'humour un peu absurde mais aussi une profondeur sur le plan émotionnel. Je savais en outre qu'il ne serait pas facile de faire exister ce film. Aucun grand studio n'en a voulu. Même chez les indépendants, on m'a souvent dit que tant que je garderais l'une des scènes-clés du film, d'une nature choquante, ce film ne verrait jamais le jour. Puis, finalement, Summit Entertainment a accepté le scénario tel qu'il a été écrit. Je leur en suis reconnaissante.»

Le risque Mel Gibson

Jodie Foster n'a pas non plus choisi la facilité en faisant appel à Mel Gibson pour jouer le rôle principal du film. Tous deux sont bons amis depuis leur rencontre sur le plateau de Maverick, et la réalisatrice a pensé à Gibson très tôt dans l'élaboration du projet.

«La première fois que je lui ai parlé de ce film, je lui ai dit que je lui faisais parvenir un scénario un peu bizarre, qu'il devait lire dans les prochaines 24 heures car les agents faisaient pression, d'expliquer la réalisatrice. Je lui ai raconté que c'était l'histoire d'un homme qui porte une marionnette. Je lui ai aussi fait remarquer qu'il ne s'agissait pas d'une comédie, malgré ce qu'il allait lire dans les deux premières pages. Il m'a rappelé le lendemain pour m'annoncer qu'il avait envie de le faire. Mel est quelqu'un de très profond. Il a compris la lutte du personnage de façon très intime, même si cela n'a rien à voir avec sa vie.»

Jodie Foster est évidemment consciente du risque qu'elle a pris en embauchant un acteur dont les propos et les frasques ont alimenté les médias au cours des dernières années. Elle persiste et signe.

«D'abord, Mel est un acteur remarquable. C'est d'abord pour cela que j'ai fait appel à lui. Le reste, je ne peux rien y faire. Vous savez, c'est une belle chose d'être metteur en scène et de réussir le film qu'on a envie de faire. J'ai ce sentiment. Après, la réussite financière, c'est autre chose. C'est plus important pour un acteur que pour un cinéaste je crois.»

Quant au titre, qui, en anglais, peut comporter une autre signification que celle désignant l'animal dont on a dessiné la marionnette, elle assume totalement.

«J'aimais bien regarder la tronche des gens qui venaient me voir pour me dire que je ferais bien de changer le titre, dit-elle en riant. Il y a un côté un peu irrévérencieux dans ce long métrage, un petit peu subversif même. Et j'estime que ce titre lui va très bien. À mon sens, The Beaver est un film particulier et il n'est pas destiné à tous les publics.»

The Beaver (Le complexe du castor en version française) est présentement à l'affiche. Les frais de déplacements ont été payés par Films Séville.