Oui, Penélope gravira le grand escalier. Et aussi Javier, Vanessa, Johnny, Marion, Brad, Angelina, Sean, Catherine, Jodie. Même Mel prendra son bain de foule sous le crépitement des flashes. Pourtant, l'événement le plus attendu par la presse française pendant le Festival de Cannes n'est pas l'affaire d'une superstar du monde du cinéma. Non. Aux marches du Palais cette année, le plus grand brouhaha médiatique risque d'être causé par un absent: le président de la République, Nicolas Sarkozy.

En France, La conquête fait déjà beaucoup jaser, même si personne encore ne l'a vu. À tel point qu'en annonçant la sélection hors concours du long métrage de Xavier Durringer lors de la conférence de presse tenue il y a près d'un mois, le délégué général du Festival Thierry Frémaux a tenu à préciser qu'il n'avait subi aucune pression. Personne ne lui a demandé de choisir ce film. Ni de l'écarter.

La raison de cet émoi? La conquête est le premier drame biographique de l'histoire du cinéma français à montrer sur grand écran une classe politique encore en exercice. Autour de Denis Podalydès, qui prête ses traits à Nicolas Sarkozy, gravitent ainsi tous les personnages ayant marqué la vie du politicien au moment de son ascension vers la plus haute fonction de l'État. Parmi lesquels son ancienne femme Cécilia (Florence Pernel), Jacques Chirac (Bernard Le Coq) et Dominique de Villepin (Samuel Labarthe).

Déjà, des alliés du président, dont l'ancien porte-parole de l'UMP Dominique Paillé, sont montés au créneau en affirmant, sur la seule foi d'une bande annonce, que le film était «loin de la vérité».

«Denis Podalydès manque singulièrement de charisme, a-t-il déclaré à 20minutes.fr. Il n'a pas la gestuelle de Sarkozy, il ne soutient pas le regard comme Sarkozy le soutient. Sarkozy, ses colères ne sont pas comme ça, il ne regarde pas par terre quand il engueule quelqu'un. Là, rien n'émane de ce garçon. L'acteur n'est pas à la taille du rôle. Mais ceux qui campent Villepin et Chirac sont plutôt bons.» Ben oui.

Liberté artistique

La présentation de La conquête le 18 mai sur la Croisette (le même jour que Melancholia de Lars von Trier!) ramènera à coup sûr le sempiternel débat sur la notion de «liberté artistique» dans un film de fiction dont le récit est tiré de la réalité. Ce fut le cas avec The Social Network. La véracité historique de The King's Speech fut aussi vivement contestée par certains experts au moment de la course aux Oscars.

Même s'il est parfois un peu tendancieux, l'argument «ceci n'est pas un documentaire» sera encore une fois mis de l'avant. Comme une façon de faire du spectateur l'unique dépositaire du regard qu'il portera sur cette histoire. Et le seul responsable. Dans l'esprit de bien des gens, la vision que proposera Xavier Durringer dans son film - peu importe qu'elle colle ou non à la vérité - sera à jamais associée à leur propre vision des choses. Et deviendra ainsi leur réalité. D'où la difficulté de l'exercice, particulièrement quand il s'agit d'un film à caractère politique.

Cela dit, la perspective d'entrer dans les coulisses du pouvoir, d'être témoin de toutes les tractations auxquelles s'adonnent nos gouvernants, peut être assez jubilatoire. Et aussi servir d'exutoire. Dans notre cinéma, il n'existe pourtant pas de telle tradition. On nous répondra qu'avec une classe politique aussi beige, il n'est pas étonnant que les auteurs et cinéastes d'ici n'aient pas exactement envie de s'attarder à en décrire la couleur. Quand on pige dans l'histoire pour trouver des figures dignes d'intérêt, on préfère d'ailleurs leur consacrer plutôt une série télévisée. Duplessis, Lévesque, Trudeau, et quelques autres ont eu droit à ce traitement au gré de productions souvent consensuelles, rarement élaborées dans la controverse.

Un fantasme

N'empêche qu'au lendemain de l'élection historique de lundi, après avoir entendu Stephen Harper déclarer qu'il «n'aimait pas parler de lui et que sa vie n'intéressait pas les Canadiens», on peut rêver d'un genre de Conquête, cette fois made in Canada.

Ne serait-il pas intéressant d'explorer dans une oeuvre artistique l'ascension d'un politicien qui, aujourd'hui, détient les clés du pouvoir, au point d'avoir maintenant la capacité de transformer le tissu social et culturel de ce pays? Vaudrait-il la peine d'entrer dans la psyché de cet homme «qui n'aime pas parler de lui» mais dont les valeurs «conservatrices» risquent d'être imposées à l'ensemble de la population, y compris celle, majoritaire à plus de 60%, qui ne l'a pas plébiscité?

Mais dans un contexte où les artistes se sont emmurés dans un silence de bon aloi pendant la dernière campagne, ce film relèvera sans doute éternellement du fantasme. Dommage.