In a Better World de Susanne Bier prenait l'affiche au Québec hier. Un drame familial danois, bien réalisé, bien interprété, touchant et percutant, fleur bleue sur les bords, avec une thèse un peu trop appuyée et une morale à la clé.

In a Better World est un beau film avec un grand défaut. Le plus récent film de la cinéaste d'After the Wedding et de Brothers a remporté, en février, l'Oscar du meilleur film étranger. Oui, devant Incendies de Denis Villeneuve. In a Better World pourrait être décrit chez nous, en forçant la métaphore sportive (de circonstance), comme le «Bruins de Boston» du cinéma d'auteur international. Un fossoyeur de rêves.

Le film de Susanne Bier a - restons dans le ton sportif - «une prise» contre lui au Québec. Pour une raison toute simple: le chauvinisme («patriotisme ou nationalisme exclusif, dénigrant systématiquement tout ce qui est étranger au profit d'une admiration inconditionnelle pour ce qui est national»; Larousse).

On le dit en riant, en boutade, avec une pointe d'autodérision, mais on n'en pense pas moins: In a Better World a volé «l'Oscar de Denis Villeneuve». Ce n'est pas vraiment moi qui le dis, c'est le Wall Street Journal, il y a une semaine, et les critiques du magazine Cinémas à TV5, le mois dernier. Ça vient de l'étranger, donc ce doit être vrai. On est chauviniste seulement quand ça fait notre affaire...

Au chapitre du chauvinisme, il faut le dire, le Québec ne donne pas sa place. Céline Dion, le Cirque du Soleil, la Miss Météo du câble en France qui rayonnent de tous leurs feux à l'étranger: eh qu'on est donc beaux et bons! Meilleurs, dans la chanson à voix, l'équilibrisme new age et la livraison comique de l'indice UV, que tous les autres.

On n'a pas inventé le bouton à quatre trous, mais il n'y a pas de jumelles trapézistes plus douées que les filles du Capitaine Cosmos, pas de juke-box humain plus phénoménal que Gregory Charles, pas de parolier plus transcendant que Luc Plamondon. Dans l'univers.

Il reste qu'en matière de chauvinisme, les champions, toutes catégories confondues, sont américains. Certains, parmi eux, convaincus qu'en toutes choses ou presque, ils sont supérieurs. Le cinéma n'y fait bien sûr pas exception.

Le mois dernier, People Magazine et ABC News ont demandé au public américain d'établir la liste des meilleurs films de tous les temps, selon différentes catégories: les comédies, les films de science-fiction et d'animation, les comédies musicales, les films d'action et les thrillers, etc.

Un demi-million de personnes ont participé au sondage. ABC en a tiré une émission spéciale de deux heures, plutôt amusante, ponctuée d'entrevues exclusives et d'anecdotes de tournages (révélant entre autres qu'en filmant An Officer and a Gentleman, Richard Gere et Debra Winger ne s'adressaient pas la parole).

Tootsie, Young Frankenstein, Some Like it Hot (que m'a offert un jour mon collègue Claude Gingras), Monty Python and the Holy Grail et Airplane! ont été choisies parmi les meilleures comédies. Close Encounters of the Third Kind, Matrix, Avatar, E.T. et Star Wars dans la catégorie des meilleurs films de science-fiction. Parmi les comédies musicales, on trouvait West Side Story, Singing in the Rain, The Wizard of Oz, Grease et The Sound of Music. Les meilleurs thrillers: Pulp Fiction, The Shining, Psycho, Jaws et The Silence of the Lambs.

Les cinq «meilleurs films de notre époque», selon ce sondage populaire? En ordre décroissant: E.T., Casablanca, The Godfather, The Wizard of Oz et Gone With the Wind.

Le résultat n'est pas très surprenant, j'en conviens. Et les films choisis par le public, pas mauvais, loin de là. Mais l'émission porte le titre pompeux de Best in Film: The Greatest Movies of Our Time et la liste de ses lauréats ne compte pas une seule référence à un film dans une autre langue que l'anglais.

Pas l'ombre d'un chef-d'oeuvre du cinéma européen ou asiatique (ni du reste de Citizen Kane, qui a pourtant révolutionné le cinéma américain). Un regard sur le septième art d'un américano-centrisme absolu, où ne semble pas exister, même aux fins de discussion, le moindre film de Fellini ou de Godard, de Kurosawa ou de Buñuel. Et ce, même si les finalistes des différentes catégories ont été sélectionnés avant le sondage par des gens de l'industrie du cinéma, dont certains cinéphiles, tels les cinéastes Michael Moore et Nora Ephron, les acteurs Susan Sarandon et Kevin Spacey, les critiques Peter Travers et Janet Maslin, ou encore James Lipton, animateur d'Inside the Actors Studio.

Je sais bien que cet américano-centrisme relève de l'évidence. Qu'il ne sert à rien de s'en étonner. Mais il reste désolant. Dans le contexte, on peut se demander quelle valeur a réellement aux États-Unis l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Une récompense accordée au reste de la planète pour se donner bonne conscience?

À la lumière de ce sondage, on a la nette impression qu'en matière de cinéma international, le point de vue américain se résume à cette phrase de Gone With the Wind, élue la meilleure réplique de tous les temps: «Frankly my dear, I don't give a damn.»

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