Dans le premier long métrage de la réalisatrice Katell Quillévéré, le vétéran Michel Galabru incarne le grand-père d'une héroïne aux prises avec un questionnement existentiel et sentimental. Un bonheur de tournage.

Âgé de 88 ans, Michel Galabru monte encore régulièrement sur les planches. «Tant que j'aurai la santé pour le faire, il n'y a aucune raison d'arrêter», dit-il, l'oeil encore bien vif. Comme le veut le rituel, des gens se présentent souvent à sa loge après une représentation. Parmi eux, un soir, une jeune femme.

«Elle était toute fraîche, toute mignonne, toute douce, a raconté le vétéran au cours d'une entrevue accordée à La Presse il y a quelques semaines. J'ai cru qu'elle était là pour me demander un autographe, mais non: elle est venue me voir pour me donner un scénario à lire et m'offrir un rôle. J'ai dit: «Très bien. Et qui est le réalisateur?» «Moi!» a-t-elle répondu. J'avoue avoir eu un peu peur!»

Cette jeune femme, née en 1980, a pour nom Katell Quillévéré. Son film a pour titre Un poison violent. Ce drame d'apprentissage a été remarqué l'an dernier à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Il a aussi obtenu le prix Jean-Vigo 2010, remis à un cinéaste français «distingué pour l'indépendance de son esprit et la qualité de sa réalisation».

Un questionnement

Le récit relate le parcours d'Anne, jeune fille de 14 ans (Clara Augarde, une révélation) qui traverse une période où se posent d'importantes questions, notamment sur le plan spirituel et sentimental. Une crise familiale, provoquée par le départ de son père, vécu comme un abandon par sa mère (Lio), survient en même temps. Le désir qu'elle éprouve pour un jeune homme vient aussi remettre en cause sa vocation religieuse. Seul repère encore solide: son grand-père (Michel Galabru), probablement l'être qu'elle adore plus que tout au monde.

«Katell propose une vision vraiment étonnante, fait remarquer Michel Galabru. Elle affiche une maturité peu ordinaire et son film en est le reflet. Elle pose des questions franches sur la vie, sur la sexualité. Et c'est ce petit bout de bonne femme qui nous sert ça? Vraiment, elle m'a sidéré jusqu'au bout!»

L'acteur affirme avoir été grandement impressionné par la maîtrise dont a fait preuve Katell Quillévéré sur le plateau de tournage.

«Elle m'a subjugué, d'autant plus qu'elle aborde quand même des thèmes délicats dans son film, notamment par rapport à la sexualité. Elle fait toutefois preuve d'une telle délicatesse que cela relève presque de la poésie. Elle a par exemple compris qu'un vieil homme au seuil de la mort reste quand même obnubilé par la question sexuelle. De la puberté jusqu'à sa mort, l'homme sera taraudé, bouleversé par le sexe, peu importe son statut social. Cette dimension est traitée dans le film, tout autant que la souffrance d'un divorce, le drame de la religion et la description d'un amour naissant. C'est vraiment très fort. Et très beau.»

Un lien plus fragile

Ayant trouvé son bonheur au théâtre, où il a joué les plus grands rôles du répertoire, Michel Galabru a toujours eu un lien plus fragile avec le cinéma. Sa participation dans la série des Gendarmes, avec Louis de Funès, l'a notamment étiqueté d'emblée parmi les acteurs que les «bons» metteurs en scène se faisaient un devoir d'ignorer.

«Il y a quand même eu un tournant dans ma carrière cinématographique, fait valoir l'acteur. Il est entièrement dû à Bertrand Tavernier. Bertrand aime les acteurs et il vient les voir au théâtre. Il aime aussi embaucher des comédiens qu'on voit moins souvent au cinéma. Après Le juge et l'assassin, je suis devenu plus fréquentable aux yeux des gens du milieu. Cela dit, je n'ai pas de regrets. Je sais que j'ai fait de très mauvais films, mais que voulez-vous? Je suis issu d'une génération où les acteurs attendaient des coups de téléphone comme les putes! Si c'était à refaire, j'aurais pris plus d'initiatives. Mais encore là, il n'est pas dit que j'aurais eu le talent de mener des projets jusqu'au bout.»

Il ressort en tout cas ravi de son expérience sur le plateau d'Un poison violent. Et prédit une grande carrière de cinéaste pour Katell Quillévéré.

«Je suis très docile sur un plateau, explique-t-il. C'est dans ma nature. Je suis là pour servir la vision du metteur en scène. J'obéis. Je déteste les conflits. Ce tournage fut un bonheur de tous les instants. Katell n'a pas eu à élever le ton une seule fois. Elle a été d'une gentillesse et d'une délicatesse de tous les instants. Elle demandait les choses avec un si joli sourire qu'on avait envie de tout lui donner. On la sentait en parfaite maîtrise de ce qu'elle faisait, de ce qu'elle voulait raconter. Mes craintes se sont très vite estompées.»

Ayant visité Montréal à quelques reprises, notamment à l'époque où il partait en tournée avec la troupe de la Comédie-Française, Michel Galabru aime par ailleurs rappeler en rigolant qu'il est déjà venu chez nous avec son pote Jean Lefebvre tourner un long métrage qui, une fois terminé, s'est révélé être un film de sexe.

«On ne le savait pas du tout! On est venu tourner notre truc, très normal; on est repartis et puis voilà! Vous savez, les acteurs de ma génération, on a souvent accepté n'importe quoi. Et je n'ai plus la moindre idée du titre que pouvait porter ce film. J'ai l'impression qu'il a dû disparaître de tous les registres! Et c'est bien tant mieux!»

Un poison violent prend l'affiche le 22 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.