Le Musée des beaux-arts de Montréal a souligné avec regret, le 31 mars dernier, le décès de l'un de ses plus grands ambassadeurs, le Dr Sean B. Murphy, président de l'institution de 1968 à 1979.

« Ophtalmologiste et ex-professeur à l'université McGill, le Dr Murphy nous laissera le souvenir d'un homme d'esprit aux réelles qualités de diplomate et d'un infatigable défenseur du Musée », a déclaré le musée par voie de communiqué. « Le MBAM veut saluer le parcours, la ferveur et la générosité de cet authentique gentleman, aussi dévoué envers sa famille et ses patients qu'à l'égard de notre institution. »

Jacques Parisien, président du MBAM, a déclaré : « C'est avec beaucoup de chagrin que nous avons appris le décès du Dr  Murphy. Au nom du conseil d'administration, je transmets nos plus sincères condoléances à ses trois enfants, Gail, Brian et Carolyn, ainsi qu'à ses quatre petits-enfants et à son arrière-petit-enfant. Nous perdons aujourd'hui un homme d'exception, dont les réalisations s'inscrivent intimement dans l'histoire du Musée, de Montréal, du Québec et du Canada. Un hommage mérité lui sera rendu au Musée au cours des prochains mois. »

Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du MBAM, a souligné : « Sean était un gentleman majuscule. Un homme d'une vision supérieure... et pas simplement en ophtalmologie ! Ancien président du MBAM, ce bénévole, récompensé au niveau canadien, a accompagné notre institution dans un tournant de son histoire, agrandie, francisée, professionnalisée... Grâce à son ouverture, le MBAM est devenu un musée plus moderne, et moins un club élitiste. Généreux donateur, collectionneur enthousiaste, personnalité chaleureuse, il savait élever le débat, transcender le quotidien, insuffler une noblesse de vertu à tous. Il avait la force déterminée des vrais gentils. Ses yeux avaient gardé cette faculté d'émerveillement enfantine, même au soir de sa vie. Il avait une fraîcheur, une curiosité, une  jeunesse que rien ne choquait... Il était toujours ouvert à l'innovation et aux formes les plus contemporaines de l'art. Amateur d'art graphique et artiste, il griffonnait sans cesse. Il avait même conçu un mobilier pour dessiner au Musée ! Il disait mener sa deuxième carrière. Tout le monde l'aimait, et c'était vrai. »

L'engagement du Dr Murphy à l'endroit du MBAM se sera manifesté sur plus d'un demi-siècle. Il adhère au Comité du membership en 1959, puis au conseil d'administration en 1965. Il devient président de l'institution en 1968 et le restera jusqu'en 1979.

L'influence qu'exerce le Dr Murphy dans son mandat se fera sentir jusqu'à nos jours. Au début des années 1970, il sollicite l'appui financier du gouvernement du Québec, une première dans l'histoire du MBAM. L'institution, qui ne bénéficie depuis sa fondation en 1860 que de financement privé, doit se rendre à l'évidence : ses ressources ne suffisent plus. À partir de 1972, son nouveau statut de société à but non lucratif de type mixte, décrété par la loi 68, lui procure les installations et les moyens requis pour répondre aux besoins du public tout en respectant les exigeants standards internationaux des prêteurs d'oeuvres majeures destinées aux expositions temporaires.

Le Dr Murphy joue également un rôle clé dans le très attendu projet d'expansion du Musée qui se conclura en 1976. Il déclare à ce sujet : « L'un des principaux objectifs de l'accord survenu entre le gouvernement du Québec et le Musée était de concevoir un complexe muséal de meilleure qualité. » À titre de président, il met alors tout en oeuvre pour obtenir le financement approprié des agences gouvernementales et des donateurs, particuliers et corporatifs, ce qui  assurera dans les faits l'ajout d'un premier pavillon.

En parallèle, le Dr Murphy assume les fonctions de président des Musées nationaux du Canada (1979‐1984 et 1987‐1990), de membre du comité exécutif du Conseil des arts du Canada (1977‐1979), de président de la Fédération canadienne des Amis des Musées (1977‐2009) et de viceprésident de la Fédération Mondiale des Amis des Musées (1977‐2009). Il crée en 1996 la bourse annuelle Cecil Buller pour professeurs défavorisés au Centre des arts visuels et, en 1999, le Prix annuel de dessin John J. A. Murphy Cecil Buller, une récompense décernée à deux étudiants en beaux‐arts de l'université Concordia.

Dès le début de sa carrière, il sort des sentiers battus, voyant en consultation des patients de l'Institut neurologique de Montréal voisin et favorisant les échanges d'expertise entre les deux institutions. Pendant presque deux décennies, il agira ainsi comme consultant pour l'Institut neurologique de Montréal, en plus de recevoir ses propres patients à l'Hôpital Royal Victoria, d'enseigner la neuro‐ophtalmologie à McGill et de poursuivre sa pratique en chirurgie de la rétine. Il est nommé chef ophtalmologiste de l'Hôpital Royal Victoria en 1970 et, cinq ans plus tard, directeur du département d'ophtalmologie de McGill, où il conserve ses fonctions de professeur.

« Diplômé de Harvard en 1943, il fit ses études de médecine à McGill, puis se spécialisa en ophtalmologie au Presbyterian Hospital de New York, où il prit l'habitude de fréquenter le Metropolitan Museum of Art. Il était fasciné par David, Ingres, Delacroix, Nicholson, et Moore, dont il étudiait les oeuvres pendant des heures. Dans ses temps libres, il dessinait et copiait les grands maîtres. De retour à Montréal, après deux ans et demi dans l'Aviation royale du Canada, il entra à l'hôpital Royal Victoria dont il devint ophtalmologiste en chef ; il fut plus tard directeur du département d'ophtalmologie de l'université McGill. Quand il sortait, fatigué, du bloc opératoire, il descendait parfois à pied au Musée, admirait une oeuvre ou deux, un Mantegna, un Moore, un Colville. Il aimait les revoir maintes et maintes fois ... Sean Murphy croyait qu'un homme découvre et comprend qui il est en fréquentant les oeuvres d'art. Et que l'art, comme la musique, adoucit les moeurs. », écrit George‐Hébert Germain dans Un Musée dans la ville, une histoire du Musée des beaux‐arts de Montréal, 2007.

Au cours des années 1970, le Dr Murphy crée une équipe spéciale d'ophtalmologistes issus de divers hôpitaux montréalais pour pallier une soudaine pénurie de médecins. Son collègue, le Dr Brian Younge, dira de lui : « D'une manière que j'ai du mal à m'expliquer, Sean a réussi à écouter, à inspirer et à rassembler un groupe d'ophtalmologistes d'ordinaire plutôt grincheux sous l'unique parapluie de McGill, englobant l'Hôpital général de Montréal, l'Hôpital Royal Victoria, l'Hôpital général juif de Montréal et l'Hôpital de Montréal pour enfants. »

Le Dr Murphy quitte l'enseignement ainsi que sa pratique en 1986. En reconnaissance des services qu'il lui a rendus, le département d'ophtalmologie de McGill instaure en 1989 la Conférence annuelle Sean B. Murphy.

Il se retire de la présidence du MBAM en 1979, mais poursuit ses activités en tant que président honoraire, notamment au sein des comités d'acquisition de l'art non canadien d'après et d'avant 1900 et de celui de la programmation. Généreux bienfaiteur et passionné d'art graphique, il aura fait don au MBAM de 141 oeuvres.

Hilliard T. Goldfarb, conservateur sénior - Collections et conservateur des maîtres anciens au MBAM, se souvient : « Toute sa vie, Sean a entretenu une passion pour le dessin. Tout comme il a encouragé les dessinateurs amateurs à manier le crayon, la craie ou l'aquarelle dans le livre qu'il a publié en 2009, il pouvait souvent être vu en train d'exécuter des esquisses au crayon ou à l'aquarelle dans les salles du Musée ou pendant ses voyages (à Venise, notamment, dont les paysages exerçaient sur lui un immense attrait). Grand amateur d'oeuvres sur papier, il a fait de nombreux dons au Musée : des chefs‐d'oeuvre d'artistes britanniques, américains et canadiens; de superbes Canaletto; un groupe exceptionnel de dessins, de gravures et de petits bronzes d'Henry Moore, des oeuvres de Picasso et de Piranesi et d'autres dessins d'artistes nordaméricains et européens de très grande qualité, sans oublier des oeuvres de ses parents, tous deux artistes de grand talent. L'enthousiasme de Sean pour l'art était contagieux. Non  seulement animait‐il par sa présence les réunions du comité du Musée, mais il a aussi inspiré la création d'un fonds d'acquisition de dessins et de gravures portant son nom et auquel ont contribué beaucoup de ses très nombreux amis et collègues. C'était un membre très dévoué, et très cher, de la grande famille du Musée. »

L'engagement du Dr Murphy envers les arts et les musées n'est pas étranger à ses racines familiales. Née à Montréal, Cecil Buller, sa mère, avait en effet été formée en gravure à l'Art Association of Montreal, à l'Arts Students League de New York et à l'Académie Julian de Paris, dans les années 1910. Elle se spécialisait en xylogravure, un procédé de gravure sur bois alors à la fine pointe. Elle avait rencontré le graveur John J. A. Murphy, son futur époux, à la Central School of Art and Design de Londres, où l'avait posté l'armée américaine dans une opération de camouflage. Les oeuvres de Cecil Buller se retrouvent entre autres aujourd'hui dans les collections du Musée des beaux‐arts de Montréal, du British Museum, de la Bibliothèque nationale de France, à Paris, du Musée des beaux‐arts du Canada et du Metropolitan Museum of Art. Le MBAM possède en outre une chaise art déco en bois et deux gravures de John J. A. Murphy, qui est également représenté dans les collections du Smithsonian American Art Museum, du Victoria and Albert  Museum, de l'Art Institute of Chicago et des Harvard Art Museums.

 « Le golf n'était pas une solution. Je n'ai jamais été très sportif... Je voulais quelque chose qui allait m'accompagner jusqu'à la fin, ou presque », a écrit le Dr Sean B. Murphy, dans son livre Dare to Draw: La Passion du dessin, publié par le Centre des arts visuels et la galerie McClure avec une préface d'Alex Colville. Le Dr Murphy se réjouit d'avoir choisi le dessin comme « seconde carrière » et échappatoire à ce que le Dr Wilder Penfield, son professeur, qualifiait de « fausse sénilité. » Débordant  d'anecdotes vivantes qui transportent aussi bien le lecteur dans les rues transversales de Québec que dans un café de Ravello, en Italie, l'ouvrage foisonne de conseils pratiques à l'intention du dessinateur. Bel exemple, la mention des quelques bancs publics qui, situés en face de Sainte‐Sophie, à Istanbul, offrent « l'un des plus beaux sites que j'aie jamais découverts pour dessiner. »

Le Dr Murphy émaille également son livre de méditations sur les liens qu'il établit entre sa profession et le geste de dessiner. Depuis longtemps, il entretient une profonde fascination pour l'oeil et le cerveau, les « deux organes de la vue », et pour la collaboration de ces deux organes dans ce qu'il appelle la « vue artistique » et qu'il définit comme étant l'aptitude à « voir les détails plutôt que l'ensemble. » Ses 80 ans bien révolus, il va jusqu'à entamer une recherche sur le sujet et à prononcer des conférences publiques informelles pour tenter d'expliquer « comment les artistes approchent l'acte de voir. »

Pour partager avec le plus grand nombre son plaisir de dessiner dans les salles du MBAM, le Dr Murphy lance une initiative pour promouvoir le dessin. Couronnées de succès, ces sessions de dessin hebdomadaires supervisées par des artistes ou des éducateurs artistiques donnent naissance en 2000 à un programme pancanadien intitulé Dessiner au musée. Son amour du dessin se traduit même par la fondation à l'université Concordia de l'atelier libre de dessin Sean B. Murphy Open Drawing Studio.

Parmi les nombreux honneurs décernés au Dr Murphy, mentionnons l'Ordre du Canada (1976), la Médaille du Jubilé de la reine (1977), une médaille de la Société canadienne d'ophtalmologie (1987), la Médaille commémorative du 125e anniversaire de la Confédération du Canada (1992) et une distinction honorifique de l'Association des médecins ophtalmologistes du Québec (1995). Au cours des dix dernières années, il a reçu un prix de la Société canadienne d'ophtalmologie soulignant l'ensemble de sa carrière (2007) - une reconnaissance attribuée à ceux et celles dont le travail a eu une incidence durable sur l'évolution de la profession, à l'échelle nationale et internationale - et le Prix du bénévolat muséal de l'Association des musées canadiens (2012). Le jury de cette dernière récompense a unanimement reconnu l'extraordinaire dévouement du Dr Murphy à la cause du MBAM et sa brillante contribution sur les scènes muséales provinciale, nationale et internationale.