Critiques, insolents parfois, mais pas forcément opposants : une nouvelle génération de Cubains défie le gouvernement socialiste à travers les réseaux sociaux, interroge les ministres sur les problèmes du quotidien et met son grain de sel dans la vie de l'île.

C'est peut-être le revers de la médaille pour le président Miguel Diaz-Canel, au pouvoir depuis avril dernier, qui a fait de l'informatisation de la société sa priorité numéro un.

Devenu le premier dirigeant cubain à ouvrir un compte Twitter, il a demandé aux membres de l'exécutif et hauts fonctionnaires de faire de même.

Puis la 3G a été déployée dans le pays-l'un des derniers au monde le faire-en décembre, dopant l'accès à internet de la population, désormais connectée depuis son téléphone. En trois mois, 1,8 million d'habitants (sur une population de 11,2 millions) s'y sont abonnés.

Les Cubains n'ont pas tardé à profiter de cet espace interactif inédit : récemment, une internaute reprochait au président de continuer à « étirer le chewing-gum » de la révolution de 1959, tandis qu'un autre le remerciait d'oeuvrer pour un « socialisme prospère ».

« Cette convergence de personnes qui viennent sur les réseaux sociaux, avec les dirigeants à portée de clavier et la possibilité de leur dire ce qu'on pense, ça a changé la dynamique de la société cubaine », explique à l'AFP Camilo Condis.

Employé dans un restaurant et propriétaire d'un logement touristique, Camilo s'est bâti une petite notoriété sur Twitter à Cuba en ne cessant d'interpeller les ministres et différentes autorités sur les problèmes de la vie quotidienne.

« Je suis assez critique mais je le fais avec respect et un minimum de bon sens », confie-t-il. Ce qui n'a pas empêché plusieurs ministres, dont celui de la Communication, de le bloquer après ses interventions.

De source proche du gouvernement, on reconnaît qu'il reste encore tout un apprentissage à faire, parmi les hauts dirigeants cubains, en terme de communication 2.0.

« Le nouveau Cuba »

Il est vrai que ces 60 dernières années, l'île au parti communiste unique a été habituée à l'unanimité politique : la Constitution actuelle a été plébiscitée à 97,7 % lors d'un référendum en 1976, puis en 1992 99,3 % des électeurs ont validé le caractère « irrévocable » du socialisme, suivant en cela la consigne de Fidel Castro d'un « vote uni » contre l'impérialisme.

Les réseaux sociaux modèlent une société civile différente, plus encline à s'exprimer... et cela marche : il y a quelques mois, face au tollé soulevé par l'application de normes plus restrictives pour le secteur culturel et les travailleurs privés, celles-ci ont été modifiées.

« Je crois que cette société civile était déjà là, mais elle n'avait pas de quoi s'organiser et communiquer, maintenant elle y arrive grâce à l'internet mobile », note Camilo Condis.

« Désormais, elle a l'opportunité d'envoyer un tweet à un ministre ou au président, ou d'avoir une plateforme où discuter et débattre », renchérit le politologue Carlos Alzugaray, et ainsi elle a « réussi à imposer au gouvernement de rectifier » ses projets.

« C'est ça, le nouveau Cuba », mais il « n'est pas contre-révolutionnaire. La majorité de la population cubaine veut que les choses s'améliorent [...] et n'estime pas qu'il faut renverser le gouvernement, mais ne trouve pas non plus qu'il réagit comme il faut. Et maintenant, ils peuvent le dire par internet ».

Brandissant le hashtag #AldeaTwitter (village Twitter), ces internautes cubains revendiquent leur caractère apolitique... et aussi citoyen.

Ainsi, quand, le 27 janvier, une puissante tornade a dévasté plusieurs quartiers de La Havane, des habitants se sont organisés pour venir en aide aux milliers de sinistrés, sans attendre le gouvernement comme c'était le cas auparavant.

« Personne ne se connaissait avant, mais on s'est contacté à travers les réseaux sociaux. On a commencé à aller sur place et on a créé un groupe Whatsapp pour s'organiser », raconte Aida Duarte, 29 ans, qui se rend encore dans les zones affectées pour distribuer des aliments.

Cet élan de solidarité a surpris les autorités cubaines et « les réseaux sociaux ont mis un petit peu de pression » sur l'effort public, estime-t-elle.

Pour Carlos Alzugaray, désormais « il y a une société civile que le gouvernement ne reconnaît pas comme telle mais qui est là [...]. C'est un défi pour l'appareil d'État cubain qui n'a jamais été confronté à ça ».