Patrice Désilets, le réalisateur du jeu Assassin's Creed, est né en 1974. C'est dire qu'il est venu au monde en même temps que les jeux vidéo sans savoir qu'ils feraient un jour sa bonne fortune et sa renommée. Portrait d'un crack créatif qui aime par-dessus tout... le théâtre.

Patrice Désilets, le réalisateur du jeu Assassin's Creed, est né en 1974. C'est dire qu'il est venu au monde en même temps que les jeux vidéo sans savoir qu'ils feraient un jour sa bonne fortune et sa renommée. Portrait d'un crack créatif qui aime par-dessus tout... le théâtre.

Il n'y a pas eu de roulement de tambour, mais les caisses enregistreuses ont sonné souvent, jeudi dernier, pour la sortie d'Assassin's Creed, le nouveau jeu vidéo produit par Ubisoft pour la troisième génération de consoles.

Au milieu de cette ruée tapageuse, un jeune homme de 33 ans, pas très grand, cheveux blonds, regard moqueur, affrontait la journée avec le calme d'un moine bouddhiste. Son nom? Patrice Désilets. Son rôle? Maître de jeu et réalisateur d'Assassin's Creed.

À quoi peut bien penser un type qui vit et travaille dans l'univers virtuel depuis 10 ans? C'est ce que je me suis demandé en m'enfonçant dans les interminables couloirs d'Ubisoft, boulevard Saint-Laurent, la semaine dernière.

Patrice Désilets m'attendait devant un écran plasma, la manette à la main, prêt à m'entraîner en 1089 pendant la troisième croisade pour me présenter son héros, un dénommé Altaïr, membre des Assassins, une secte qui a réellement existé et à qui on doit l'invention du meurtre politique.

Mais, à vrai dire, ce qui m'intéressait, c'est comment un jeune Québécois de 33 ans, né à Saint-Jean-sur-Richelieu, fils du mathématicien et directeur de cégep Jacques Désilets et de Luce de Bellefeuille, la directrice générale du Secrétariat à l'adoption internationale, comment ce pure-laine, produit de la génération Passe-Partout, a pu concevoir un monde à des années-lumière de sa petite réalité.

«Je me suis souvenu d'une lecture quand j'étudiais en lettres à Édouard-Montpetit, répond-il. C'était sur les sociétés secrètes du Moyen Âge. J'ai appris que ces sociétés avaient inventé le mot "hashshashin" probablement parce qu'ils fumaient du haschisch, qui a fini par devenir "assassin". C'était des chiites musulmans dont les cibles étaient politiques. Ils ne visaient jamais la population. Ils étaient à la fois agents doubles, Robin des bois, justiciers masqués, mais toujours à la recherche d'une liberté qui à l'époque était très mal vue.»

Il y a quatre ans, à la suite du succès mondial du jeu Prince of Persia que Desilets a réalisé avec son équipe, la direction d'Ubisoft lui a confié un mandat tout simple: produire un jeu d'action pour la troisième génération de consoles. Rien de plus.

Désilets avait carte blanche pour imaginer le concept et la vision du jeu mais savait qu'il venait d'hériter d'une lourde responsabilité.

«Mon métier à moi, c'est d'abord de dire quelque chose. Nos jeux sont joués par des millions de gens. Aussi bien en profiter pour leur passer des messages. Mon personnage, par exemple, doit réaliser neuf assassinats qui vont le pousser à se poser des questions, sur le bien et le mal. En principe, il élimine des méchants, mais en le faisant, il n'est pas mieux qu'eux. J'ose espérer que cela fera réfléchir les joueurs.»

Des millions pour un jeu théâtral

Désilets est arrivé aux jeux vidéo un peu par hasard. Au cégep, il était de tous les matchs d'impro et passionné par le théâtre. À l'Université de Montréal, il s'est dirigé en cinéma en rêvant de réaliser un jour son Cinéma Paradiso (son film préféré à vie) ou alors de poursuivre dans la lignée des Truffaut, Coppola et Scorsese. Quand il a su qu'Ubisoft s'installait au Québec, il a posé sa candidature.

À l'époque, l'entreprise comptait 10 employés. Elle en compte 1700 aujourd'hui. Désilets se souvient que sa blonde de l'époque ne comprenait pas la raison d'être de son travail. «Elle croyait que les jeux vidéo se faisaient tout seuls. Qu'ils n'étaient qu'une simple cartouche.»

Aujourd'hui, quand de jeunes gamers l'approchent, Désilets leur prodigue un seul conseil: allez au théâtre le plus souvent possible. «Le jeu vidéo est très théâtral; en ce sens, le théâtre nous enseigne un tas de choses sur la scénographie, la musique, le rapport au temps et sur le côté immédiat et interactif avec le public.»

Si le jeu vidéo descend du théâtre, ses budgets, eux, se comparent à ceux du cinéma, et pas nécessairement du cinéma québécois. Un jeu comme Assassin's Creed coûte plus d'une dizaine de millions à réaliser. Au plus fort de sa production, il monopolise les efforts d'une équipe d'environ 160 techniciens et artisans.

«Moi, je peux recréer une ville au complet, ce qu'aucun cinéaste québécois n'a les moyens de faire, affirme Désilets. Et puis, la beauté du jeu vidéo, c'est qu'il est un condensé de plein de métiers aussi bien artistiques que techniques.»

Le jeu vidéo a peut-être plus de moyens que le cinéma, mais il obtient moins de reconnaissance, même si un jeu comme Assassin's Creed se vendra à plus d'exemplaires qu'un DVD de Denys Arcand ou qu'un CD de Céline. Patrice Désilets ne s'en porte pas plus mal. Il revient d'une tournée en Europe et en Australie, en passant par Los Angeles et New York où il a rencontré des journalistes de Newsweek et de Playboy.

Il leur a fait part de son rêve de créer un jeu d'action qui se déroulerait dans le milieu de la musique à Montréal. Mais avant, il se prépare à l'arrivée d'un nouveau bébé. Il sait déjà que ce sera une petite fille prénommée Alice et que sa naissance sera tout... sauf virtuelle.

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