Ce week-end, plusieurs vedettes mondiales de l'animation numérique sont réunies à Montréal dans le cadre d'une conférence d'envergure. Nous en profitons pour faire le point sur cette industrie en plein essor dans la métropole.

Ce week-end, plusieurs vedettes mondiales de l'animation numérique sont réunies à Montréal dans le cadre d'une conférence d'envergure. Nous en profitons pour faire le point sur cette industrie en plein essor dans la métropole.

En 1997, quand Benoît Girard a fondé Digital Dimension, boîte spécialisée dans les effets spéciaux, c'est à Burbank, en banlieue de Los Angeles, qu'il a choisi d'installer ses pénates.

Le Québécois ne s'est pas posé de questions: il voulait être au coeur de l'industrie cinématographique, et il ne se voyait nulle part ailleurs qu'en Californie. Point à la ligne.

Les choses ont changé depuis. En 2004, le natif de Saint-Félix-de-Valois a senti le besoin d'ouvrir un deuxième studio, à Montréal celui-là. Loin d'Hollywood et de ses lumières. Mais au centre d'un marché en plein essor.

«C'était logique d'ouvrir à Montréal parce que le marché était là, les personnes qualifiées étaient là, les programmes gouvernementaux sont là aussi, dit Benoît Girard. Il y a plusieurs variables qui sont toutes alignées et qui pointent vers Montréal.»

Aujourd'hui, le studio montréalais de Digital Dimension compte quelque 80 employés... soit deux fois plus que celui de Burbank. L'entreprise, récipiendaire de six Emmys- la récompense la plus prestigieuse en télévision aux États-Unis-, a notamment conçu des effets spéciaux pour la populaire série télé Lost, diffusée sur le réseau américain ABC.

Il n'y a pas à dire, l'enthousiasme règne ces jours-ci dans le milieu montréalais de l'animation, après la période sombre vécue au début des années 2000. La demande est forte pour les animations 2D et 3D, autant dans le domaine du film que de la télé et de la pub. Les concepteurs d'ici planchent autant sur des effets spéciaux spectaculaires, comme ceux du film Snakes on a Plane, que sur des traditionnelles séries de dessins animés, comme Kid Paddle. L'industrie ratisse large.

Plusieurs studios d'animation 2D et 3D ont ouvert leurs portes ces dernières années, et de «vieilles» boîtes, celles qui existent depuis 10 ans, agrandissent leurs bureaux. Les contrats se multiplient et il faut de l'espace pour loger les artistes en animation et leurs ordinateurs.

Chez Groupe Image Buzz, on vient tout juste d'aménager de nouveaux studios pour l'animation 3D. Avec grand style- et visiblement un bon budget. Un peu partout, des touches d'aluminium brossé, des appliques en bois, des luminaires hyper design. Les locaux, situés à mi-chemin entre Plateau Mont-Royal et le Quartier latin, ont été conçus pour plaire à des clients et des employés exigeants.

L'entreprise est sur une lancée. En moins de trois ans, le nombre d'animateurs 3D- ceux qui conçoivent les différents effets spéciaux- a plus que triplé. Ils sont aujourd'hui une trentaine, à avoir notamment travaillé sur les effets du film Brokeback Mountain. «Ces temps-ci, on est tellement occupés qu'on est obligé de refuser de la job!» dit Alexandre Lafortune, lead animateur et directeur artistique chez Buzz.

Longue histoire Ce n'est pas d'hier que la métropole québécoise baigne dans l'animation. Dans les années 80 et 90, Montréal s'est fait connaître pour ses logiciels utilisés partout dans le monde, ceux des sociétés Softimage et Discreet Logic (toutes deux vendues à des intérêts américains depuis). À cette époque, les dinosaures virtuels de Jurassic Park, créés grâce au génie informatique québécois, ont révolutionné le monde du cinéma par leur réalisme stupéfiant.

Montréal a aussi vu naître des séries d'animation primées dans des dizaines de pays, avec le défunt géant Cinar comme locomotive. La société, qui s'est fait connaître autant pour ses succès Caillou et Robinson Sucroe que pour ses malversations, a contribué à mettre Montréal «sur la carte».

La métropole s'est par ailleurs taillé une place enviable dans le secteur des jeux vidéo, où l'animation 3D est une composante essentielle. Grâce au talent des centaines de créateurs d'Ubisoft, d'Electronic Arts et d'une pléiade d'autres petites boîtes, la ville jouit maintenant d'une réputation mondiale dans ce domaine. Et la croissance est loin de s'essouffler.

Profitant en quelque sorte du croisement de toutes ces expériences, Montréal est en train de mettre sur pied une véritable industrie des effets spéciaux, qui fait de plus en plus jaser à Hollywood.

«Montréal a été une ville où il y avait beaucoup d'animation avec Cinar, Cinégroupe, l'Office national du film. Il y a une culture là-dedans. Les boîtes comme Softimage et Discreet Logic ont de leur côté prouvé qu'on avait une compréhension de la création d'images de synthèse en numérique. Maintenant, c'est la jonction des deux qui arrive, le marché s'agrandit», résume Ghislain St-Pierre, directeur général de Meteor Studios, qui compte 100 employés.

Ce dans quoi Montréal est en train de faire sa marque, c'est la conception d'effets spéciaux et d'animation numérique en «sous-traitance», souvent pour de grands studios américains. Une industrie axée plus sur la prestation de services que sur la production de contenu original, déplorent certains, mais qui connaît malgré tout un bel essor.

La boîte Hybride, située dans d'improbables et luxueux locaux sur une colline de Piedmont, dans les Laurentides, reçoit une grosse part du gâteau. Les artisans de cette société ont notamment réalisé des effets spéciaux pour Snakes on a Plane et Sin City, sortis au cours de la dernière année.

Le film Spy Kids, sorti sur les écrans en 2001, a marqué un véritable tournant pour Hybride, raconte le président Pierre Raymond.

«Il y a le avant et le après Spy Kids 1, dit-il. Quand le film est sorti, il y a eu une onde de choc. Ils se sont dit: comment est-il possible de faire cette qualité d'effets-là à l'intérieur de ce budget-là? La relation qualité-prix a brassé énormément de monde à Hollywood, incluant Disney.»

Depuis, le téléphone de Pierre Raymond n'a jamais dérougi. Il affirme être parmi les premiers appelés quand vient le temps de soumissionner sur plusieurs gros contrats américains. Mais pour arriver à une telle reconnaissance des bonzes de Hollywood, il a dû prendre une décision «lourde de conséquences» pour son entreprise: abandonner la production de publicités pour se consacrer exclusivement au septième art. Une des clés du succès, dit-il. Pub payante Tous ne pensent pas comme lui. Chez Buzz, on joue sur tous les tableaux. Ces dernières années, les artisans de la boîte ont planché tant sur les effets spéciaux de Eternal Sunshine of the Spotless Mind que sur des publicités de Toyota ou d'une marque de yogourt mexicaine. «Il faut garder la pub parce que c'est beaucoup plus payant en bout de ligne», dit Alexandre Lafortune, de Buzz.

D'ailleurs, la capacité des boîtes montréalaises à être polyvalentes constitue une des forces- et une des manières de croître- de la «filière montréalaise», selon plusieurs acteurs du milieu.

«Les studios sont diversifiés, ils vont faire à la fois du long métrage, de la publicité, beaucoup travaillent pour la télévision, et cette combinaison-là assure une belle stabilité aux studios», dit Michel Desjardins, directeur général de l'Institut national de l'image et du son (INIS) et président de l'organisme Québec AnimFX, qui représente l'industrie de l'animation.

Il n'y a pas que la polyvalence et la créativité qui entrent en ligne de compte, cependant. Le facteur économique joue aussi un grand rôle, très grand même, quand vient le temps de convaincre les studios américains de faire réaliser leurs effets spéciaux au Québec.

«Quand ils viennent ici, ils peuvent avoir des crédits d'impôt qui vont jusqu'à 49 % du salaire des individus», explique Ghislain St-Pierre, de Meteor Studios (propriété d'actionnaires américains).

Cette aide financière, octroyée par la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) et le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens (BCPAC), est essentielle à la survie- et à la croissance- de l'industrie, disent les dirigeants de studios montréalais. «Je pense que s'il fallait que ça arrête, l'industrie retomberait rapidement», avance Ghislain Saint-Pierre.

Ces crédits permettent en outre de contrer la hausse du dollar canadien par rapport à la devise américaine, dit Pierre Raymond, de Hybride. «Si on n'avait pas eu ça, on commencerait à s'en venir one to one avec notre compétition américaine. Si un jour je suis one to one, ils vont rester chez eux».