Fini le temps où maman bloguait de son sous-sol, incognito et à temps perdu. De plus en plus, les femmes blogueuses, en plus de partager leurs tranches de vie, testent des produits, voyagent aux frais de différentes sociétés, brouillant du coup les frontières entre vie privée et publicité. Bienvenue dans l'ère de l'infopub au rabais, où les mères sont une cible de choix.

L'an dernier, Frito-Lay a envoyé une mère blogueuse américaine à Los Angeles, toutes dépenses payées. Objectif? Rencontrer des célébrités.

Entre deux ou trois rencontres de vedettes, elle a, surprise, aussi eu droit aux dernières publicités de l'entreprise. En primeur.

Quelques mois plus tard, c'était au tour de Nestlé d'envoyer 17 mères blogueuses et un père blogueur en Californie passer une nuit dans un grand hôtel, en plus d'assister à un spectacle privé à Hollywood. Le tout, il va sans dire, pour découvrir les dernières nouveautés de l'entreprise.

Interrogée sur l'aspect éthique de toutes ces pratiques par un journaliste du LA Times, Andrea Deckard, mère blogueuse du blogue Mommy Snacks, a rétorqué: «C'était juste agréable! En plus, ce n'est pas comme si j'avais vendu mon âme pour une barre de chocolat!»

Il faut dire que ces pratiques sont de plus en plus courantes aux États-Unis, et surtout de plus en plus agressives. Starbucks a déjà offert une visite guidée de New York en limousine à un groupe de parents, et Taco Bell a même envoyé des blogueurs dans une retraite en Californie, pour découvrir... l'art de la concoction de ses dernières recettes.

Un marché convoité

Voilà des années que les publicitaires cherchent à infiltrer le très lucratif monde des mères de famille. «Aux États-Unis, les mères contrôlent 2100 milliards de dollars. Ce sont elles qui font 85% des achats pour leurs foyers», explique Maria T. Bailey, auteure de plusieurs livres sur la question (Trillion Dollar Moms, Mom 3.0, etc.) en plus de consacrer un blogue à ce sujet (Marketing to Moms). Or, les femmes n'achètent pas nécessairement ce qu'elles voient à la télé ou dans les publicités, explique-t-elle. Avant de sortir leur portefeuille, elles vont interroger leur entourage. «Les publicitaires ont toujours su que les mères fonctionnaient beaucoup par le bouche à oreille, sur le terrain de jeu, par exemple, poursuit l'analyste. Or, grâce aux blogues, les publicitaires ont enfin accès à ce terrain de jeu!»

D'après les recherches de sa boîte, BSM Media, plus de 40% des femmes considèrent les blogues comme une source fiable d'information, et la moitié des femmes avouent même être influencées par les blogues quand vient le temps de consommer.

D'après un sondage réalisé par la firme Perseus, 56% de tous les nouveaux blogues sont créés par des femmes. Par conséquent, «le blogue de maman, c'est LE média du moment en publicité, renchérit Holly Buchanan, auteure du blogue Marketing to Women Online. Voilà si longtemps que les publicitaires se trompent avec les femmes. Les femmes sont intelligentes. Elles n'achètent pas leurs salades.»

Résultat, plusieurs médias spécialisés s'intéressent désormais au sujet: Business Week a publié un article sur l'art de se vendre aux mères blogueuses (Pitching to Mommy Bloggers), Advertising Age s'est intéressé à la question (Inside the Mommy Blogger Business), et de plus en plus de blogues analysent aussi le dossier (marketingtomoms.com, marketingtowomenonline.typepad.com, etc.).

Et la transparence?

Devant l'ampleur du phénomène, une foule de blogueuses se retrouvant à faire de la critique de produits, friandises, couches, maquillage et autres - des critiques essentiellement positives, une majorité de blogueuses ne parlant tout simplement pas d'un produit qu'elles n'aiment pas -, la Federal Trade Commission (organisme de protection du consommateur américain) a décidé d'agir. Depuis le 1er décembre, les blogueurs américains sont soumis à une loi de «transparence», les obligeant de préciser s'ils écrivent pour une entreprise ou non, s'ils ont reçu des produits gratuitement ou encore été invités par la société dont ils vantent par ailleurs les mérites.

Mais qui appliquera cette loi? Dépend-elle seulement de la bonne foi des blogueurs? La jugeant trop vague, certains blogueurs ont décidé d'aller plus loin et affichent désormais sur leur site un sceau d'intégrité: «Blog with Integrity.» C'est le cas d'Annie Urban, la blogueuse de PHD in Parenting. Même si, en tant que Canadienne, elle n'est pas soumise à cette loi, Annie Urban affiche fièrement le logo depuis un mois, «pour signaler que je prends la question de l'éthique au sérieux, dit-elle. Trop de gens ne bloguent pas avec intégrité, ne déclarant pas leurs liens avec certaines entreprises, par exemple. Je n'ai pas de problème avec ceux qui acceptent les cadeaux et voyages, en fait, pourvu qu'ils le déclarent.»

Car plusieurs mères blogueuses se bâtissent ainsi de véritables petites fortunes. Grâce à la publicité et aux commandites, la blogueuse de Dooce, par exemple, pionnière dans le monde des blogues de mères, désormais commanditée par Starbucks et Verizon, réussit à nourrir sa famille grâce à son blogue. Un blogue, faut-il le rappeler, créé il y a 10 ans à titre de défouloir! Consciente des risques associés au mélange des genres, qui pourraient lui faire perdre sa crédibilité, la blogueuse s'assure de distinguer clairement son contenu de la publicité.

Un indispensable, croit aussi Joanne Thomas Yaccato, auteure du Gender Intelligent Retailer. «Il faut être transparent», martèle-t-elle. Si elle trouve acceptable que certaines entreprises offrent des produits à tester, il y a des limites à ne pas dépasser, croit-elle. On n'offre pas une fourgonnette, par exemple. Encore moins un voyage... «Bien sûr, les entreprises doivent aller chercher les femmes, concède l'auteure de Toronto, mais de là à les envoyer en voyage, en retraite, c'est vraiment trop. Ce n'est plus de la persuasion! Personnellement, si j'étais jointe par une société de la sorte, je serais très offensée de voir qu'elle essaie ainsi de m'acheter! Ça devrait carrément être illégal.»