Des banderoles déferlent sur la place Rouge, devant des dignitaires figés, pour le défilé annuel du 1er mai : ces archives télévisées soviétiques connaissent une deuxième vie sur internet, non sans arrière-pensées commerciales.

Rien ne manque, pas même les commentaires exaltés des journalistes de l'époque: «Un jour tel que celui-ci, tous les citoyens soviétiques, qu'ils soient à Moscou ou loin de la capitale (...) ont la place Rouge dans leur coeur», lance une voix off conquérante.Ces images datant de 1974 sont l'un des nombreux films disponibles sur un nouveau site internet, CCCP-TV.ru («CCCP» est l'abréviation russe de l'URSS), au slogan évocateur : «Longue vie à l'Union soviétique».

S'appuyant sur la nostalgie soviétique toujours présente en Russie, le site, lancé le 7 novembre, date anniversaire de la Révolution bolchevique de 1917, entend diffuser au plus large public possible aussi bien des documentaires de propagande que les grandes victoires sportives soviétiques.

Et Andreï Akopian, le patron de la société Uravo à l'origine du projet en partenariat avec le fonds audiovisuel russe, l'organisme d'État détenteur de ces archives, n'a pas que des objectifs désintéressés.

Son grand projet, au-delà des encarts de publicité vendus, est d'associer le site à des ventes aux enchères en ligne d'objets de collection datant de la période soviétique.

«Il y a un auditoire potentiel de plusieurs millions de personnes en Russie (...) sans compter plusieurs autres millions dans les pays de l'ex-URSS et à l'étranger», souligne l'homme d'affaires.

Un sondage publié en novembre par le centre de recherche américain Pew semble bien lui donner raison. Selon cette enquête, 58% des Russes jugent que la disparition de l'empire soviétique fut une catastrophe.

Plus l'audimat des nostalgiques grandit, plus M. Akopian compte engranger les bénéfices. Dès lors, il prévoit de porter d'une cinquantaine à plusieurs milliers le nombre de vidéos mises en ligne.

Si CCCP-TV.ru est le premier site à diffuser les archives télévisées soviétiques, les médias traditionnels surfent déjà sur cette vague, à l'instar des chaînes de télévision câblées Nostalgia et Retro, qui ont trouvé une audience fidèle en rediffusant ces vieux enregistrements.

Arina Borodina, critique de télévision pour le quotidien russe Kommersant, doute toutefois que ce modèle soit exportable avec le même succès vers l'internet, l'auditoire de ces chaînes étant essentiellement constitué de personnes d'âge moyen voire âgées nostalgiques de leur jeunesse.

«Ce n'est pas vraiment la génération internet», note la journaliste.

Le site surfe toutefois sur la vague du patriotisme en plein essor en Russie, après la remise en cause des années 1990.

Certaines vidéos ne sont d'ailleurs pas très éloignées de certains discours d'aujourd'hui sur le caractère antirusse des Occidentaux, malgré la fin de la Guerre froide.

Un documentaire sur la France de 1980 affirme par exemple que «tous les médias français, radio, télévision, journaux, sont infectés par un sentiment antisoviétique. Cette épidémie vient d'outre-Atlantique, des rivages américains».

Des films nettement moins politiques sont aussi très populaires, l'une des vidéos les plus regardées, selon M. Akopian, étant la victoire écrasante 11 à 2 en 1960 d'une équipe soviétique de hockey contre une équipe canadienne.