La décision de la Chine de surseoir à l'installation sur les ordinateurs d'un logiciel de filtrage des contenus pornographiques sur l'Internet représente une victoire pour l'opinion publique mais n'annonce pas pour autant un relâchement de la censure sur la Toile.

La Chine avait déclenché un tollé en demandant aux fabricants d'ordinateurs de doter tous les ordinateurs vendus sur son sol à partir de mercredi du logiciel baptisé «Barrage vert d'escorte de la jeunesse», considéré à l'étranger et par les internautes chinois comme une nouvelle arme de censure de l'Internet.

Elle a néanmoins annoncé mardi, in extremis, le report de la mesure, expliquant que certains fabricants avaient besoin de temps pour une telle installation à grande échelle.

Mercredi, des analystes y ont vu un signe que le gouvernement chinois avait lâché du lest face aux pressions intenses, venues aussi bien de Chine -- des internautes, d'avocats et même de la presse officielle -- que de gouvernements et d'associations étrangers.

«Après toutes ces années de contrôle et de censure de l'Internet, c'est la première fois que le gouvernement recule et que la réaction publique est si forte», a souligné Xiao Qiang, chef du Projet Chine Internet de l'université de Californie.

«Il n'a jamais cédé sur des mesures de contrôle de la population», a-t-il ajouté.

Pékin n'a pas officiellement abandonné le projet, il l'a juste différé, sans fixer de délai. Mais «c'est très encourageant», a jugé Nicholas Bequelin, de Human Rights Watch.

«Le gouvernement a pris la bonne décision sur ce qui était de son propre intérêt. Cela montre que la Chine n'est pas insensible aux pressions extérieures et intérieures. C'est une victoire pour les critiques du gouvernement et de la censure», a-t-il estimé.

La Chine est régulièrement accusée de censurer les informations politiquement sensibles sur l'Internet: critiques du gouvernement, informations sur le mouvement interdit Falungong ou sur la répression des manifestations en faveur de la démocratie en 1989, place Tiananmen.

Toutefois, la population d'internautes, la plus importante au monde, s'enhardit aujourd'hui à contester l'ultra-contrôle.

«Aujourd'hui, on a une population de 300 millions d'internautes, qui sont des gens relativement éduqués, savent ce qu'ils font, et on a une espèce de nouveau lobby, un lobby très puissant», a souligné Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques de l'Université baptiste de Hong Kong.

Leur fronde et la contre-publicité faite au logiciel ont aussi mis en évidence les tentatives de contrôle du gouvernement.

«Par définition, pour que la censure soit efficace les gens ne doivent pas savoir qu'elle existe», dit Xiao.

Pour Mao Shoulong, professeur d'administration publique à l'Université du Peuple, «le gouvernement s'est aussi trop hâté pour élaborer sa mesure, ne s'attendant pas à ce que cela se retourne contre lui».

Peut-être parce qu'il n'était pas uni sur la question: «le fait qu'il ait plié face à la pression (...) montre que le projet était probablement celui d'une faction dure au sein du gouvernement», a dit Nicholas Bequelin.

«Ils ont fait un mauvais calcul et essuyé un échec de taille», a-t-il ajouté.

Cela n'en signale pas pour autant un assouplissement de la censure, selon Xiao: «Le gouvernement a décidé qu'une plus grande liberté sur l'Internet pourrait menacer son pouvoir (...) Je ne pense pas que l'échec de Barrage vert change cela».

«J'ai même peur qu'il ne punisse certains internautes -- des blogueurs ayant écrit à propos de la censure ont reçu des messages menaçants sur leurs blogs -- et qu'il se serve de cela pour en intimider d'autres», averti Xiao Qiang.