C'est le paradoxe du web dans toute sa splendeur: les internautes veulent du contenu gratuit, à volonté, de grande qualité. En échange, ils ne veulent pas payer. Et bientôt, ils pourront même punir les annonceurs qui diffusent des publicités ennuyeuses.

Alors que le secteur de la publicité en ligne connaît une décroissance pour la première fois depuis 2002 - 5% de recul aux États-Unis au cours du premier trimestre de 2009 - Digg.com, un des sites les plus populaires sur la Toile américaine, vient de proposer cet audacieux modèle d'affaires qui donne aux internautes une forme de pouvoir sur la publicité.

Depuis son lancement en 2004, tout le concept de Digg repose sur le social bookmarking: les diggers, une armée d'internautes volontaires, votent pour des contenus glanés sur le Net qu'ils jugent intéressants - nouvelles lues sur des sites de journaux, billets de blogues, clips vidéo, etc. Les contenus qui obtiennent le plus de votes se retrouvent en page frontispice de Digg, dont l'influence est si grande que les serveurs des sites mentionnés dans le top 10 s'effondrent souvent sous le poids des milliers de visites subites d'internautes curieux.

Malgré son immense popularité, Digg reste néanmoins déficitaire. Dans un ultime effort pour attirer les annonceurs, les propriétaires ont présenté la semaine dernière leur nouveau plan: à l'avenir, les publicités seront présentées dans la même section ou dans le même format que le contenu courant du site. Et comme pour le contenu courant, les diggers seront appelés à voter pour ces publicités. "Plus une annonce obtiendra de votes favorables, moins les annonceurs devront payer. À l'inverse, plus une publicité recevra de votes négatifs (bury), plus les annonceurs seront facturés, ce qui poussera éventuellement leurs publicités hors de la plateforme", écrit Digg sur le blogue de l'entreprise

Formule miracle

Bien des gourous du web ont vite qualifié cette stratégie de formule miracle. "C'est l'innovation qui sauvera le marché la publicité, a titré MediaPost.com la semaine dernière.

Impossible? Farfelu? «Pas tant que ça», répond Yannick Manuri, spécialiste montréalais du placement publicitaire interactif. Lui même, il y a quelques mois, a discuté avec des annonceurs et éditeurs web d'une stratégie où l'internaute aurait son mot à dire sur la publicité dont il est bombardé. «L'idée est bonne, mais ça reste difficile à appliquer. La résistance est énorme», croit-il.

«Le problème, c'est que ceux qui annoncent le plus sur le web sont les compagnies de télécommunications et les constructeurs automobiles. Et ce ne sont pas ces compagnies qui ont les créations publicitaires les plus originales. Elles sont très conservatrices, et c'est un peu normal de l'être quand on considère qu'elles peuvent mettre 500 000$ sur la table pour faire passer un message. L'idée que les internautes puissent démolir leur campagne leur fait très peur», explique Yannick Manuri.

Au-delà de la résistance des annonceurs, la stratégie de Digg soulève également des doutes quant à son efficacité. «Les tests d'oculométrie démontrent clairement que, sur le web, l'oeil des internautes ne voit que ce qui se trouve dans ce qu'on appelle le ''triangle d'or''. Même si on mêle les publicités au contenu de base pour les forcer à les voir, les internautes n'y porteront pas attention. À terme, ils risquent même de voter contre les publicités en signe de protestation», croit Sylvain Sénécal, professeur de marketing électronique à HEC Montréal.

«Et au bout du compte, note Yannick Manuri, le véritable problème, c'est que, s'ils ont voix au chapitre, les internautes vont constamment voter en faveur des publicités les plus ludiques et les plus drôles... qui sont rarement les plus efficaces.»

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