Ils ont survécu à l'esclavage dans des camps de concentration nazis ou au travail forcé dans des usines de munition et racontent leurs années de souffrance: quelque 600 témoignages de ces forçats sont disponibles depuis jeudi sur internet.

Chercheurs, historiens, enseignants ou journalistes peuvent accéder librement à ces 2000 heures d'enregistrements, audio ou vidéo, recueillis depuis quatre ans par 32 équipes d'enquêteurs à travers le monde. Les survivants, 341 hommes et 249 femmes qui avaient entre 65 et 98 ans au moment de leur témoignage, vivent aujourd'hui surtout en Europe de l'Est, notamment en Ukraine, en Pologne et en Russie, mais également dans un grand nombre d'autres pays d'Europe, ainsi qu'aux Etats-Unis, en Israël et en Afrique du Sud.

Leurs récits, emblématiques des souffrances de 12 millions de victimes du travail forcé, révèlent des situations très disparates. Un tiers des témoins ont été «travailleurs esclaves» dans les camps de concentration - juifs ou non-juifs, parfois Roms, où ils ont connu l'horreur.

Henry F., un octogénaire d'origine juive hongroise qui vit depuis la fin de la guerre à Atlanta aux Etats-Unis, est le seul de sa famille à avoir survécu à l'Holocauste. Dans son récit mis en ligne, il raconte comment il était régulièrement battu et maltraité dans la gigantesque usine de munitions où il avait été affecté à Budapest en 1944. Plus tard, contraint de transporter les blessés allemands sur le front germano-sovétique, il souffre du froid et de la faim.

D'autres anciens travailleurs forcés ont certes connu la privation de liberté, mais n'ont pas été déportés, ni réellement maltraités. «Les Allemands, ils ne cherchaient pas à nous brimer. On travaillait pour eux, ce n'était pas dans leur intérêt. On était nourris correctement», se rappelle ainsi le Français René S., de Mâcon (centre-est), qui passa six mois en 1943 dans une usine proche de Mannheim où il fabriquait des joints métalliques.

Dans leur majorité, les témoins ont surtout apporté leur concours à ce projet car ils voulaient que ce drame du travail forcé «ne tombe pas dans l'oubli», a expliqué jeudi lors d'une conférence de presse Günter Saathoff, président de la fondation allemande «Souvenir, responsabilité et avenir» (EVZ).

Créée en 2001, cette fondation était chargée par les pouvoirs publics allemands de dédommager les victimes du travail forcé, une tâche qu'elle a achevée en 2007: 4,4 milliards d'euros ont été versés au total à 1,66 million de personnes dans presque 100 pays.

Durant cette période, les collaborateurs de la fondation EVZ se sont rendus compte que «les victimes ne voulaient pas seulement percevoir l'argent qui leur était dû, elles voulaient aussi raconter ce que personne n'avait voulu entendre pendant des décennies», a expliqué M. Saathoff.

Recueillis dans la langue maternelle des survivants, ou dans celle du pays où ils vivent depuis la Guerre, les témoignages ont fait l'objet d'une transcription écrite intégrale, et ont commencé à être traduits en allemand, avant peut-être une traduction dans d'autres langues, dont l'anglais. Douze récits sont en outre accessibles au grand public sur des bornes multimédia au Musée historique allemand de Berlin.

Avec cette base de données, les «victimes obtiendront enfin une reconnaissance publique et une attention qu'elles ont souvent attendues en vain pendant des décennies», a estimé Felix Kolmer, lui-même ancienne victime et vice-président du Comité international Auschwitz.

L'accès à ces témoignages peut être demandé sur www.zwangsarbeit-archiv.de