C'est immanquable. Quand elle souffre d'un mal de gorge ou d'une douleur à la poitrine, Marie, 27 ans, craint toujours le pire: un cancer, une maladie cardiaque, un mal incurable. «C'est plus fort que moi. Je vais vérifier sur l'internet et je panique encore plus. D'un site à l'autre, ça me mène au pire diagnostic», dit-elle.

«L'internet peut augmenter l'anxiété des personnes qui ont peu ou pas de formation médicale, surtout lorsque la recherche porte sur un diagnostic», indiquent les chercheurs Ryen White et Eric Horvitz, de Microsoft. Ils ont mené une étude sur l'internet et l'anxiété liée à la santé, dont les résultats ont été publiés fin novembre. Les internautes ont souvent tendance à croire le pire, concluent-ils. Une raison? La configuration des moteurs de recherche.

 

Selon Statistique Canada, 58,7% des utilisateurs de l'internet à domicile (16 ans et plus) ont cherché des renseignements médicaux ou liés à la santé en 2007. Un peu plus de femmes que d'hommes. Ils s'informent sur une maladie particulière, les symptômes, le mode de vie et les médicaments. Aux États-Unis, huit adultes sur 10 ont déjà consulté un site internet sur la santé.

«Les gens sont plus nombreux à s'informer sur la santé en ligne, c'est en augmentation constante depuis les dernières années. Ça a du bon et du moins bon. Plus on assiste à la vulgarisation de l'information médicale, plus le nombre d'hypocondriaques tend à augmenter», indique Marc Lemire, chercheur adjoint au département d'administration de la santé de la faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Plus du tiers des internautes (38,4%), parmi ceux qui visitent les sites de santé, deviennent cybercondriaques, selon l'étude de Microsoft. Le terme a émergé en l'an 2000. Les auteurs parlent d'une «progression non fondée d'inquiétudes et de préoccupations face à des symptômes communs, basée sur les résultats de recherches sur le web». Peu de chercheurs se sont penchés sur la question.

«L'internet est un terreau fertile pour l'hypocondrie. Il m'apparaît logique de dire que des personnes cybercondriaques ont déjà des tendances manifestes ou latentes hypocondriaques, indique le psychologue Gilles Ouimet. On trouvera toujours un diagnostic qui confirmera nos craintes, que la réponse soit bonne ou non.»

De fil en aiguille: moteur de recherche trompeur

Le tiers des internautes qui cherchent de l'information sur la santé ne se contentent pas de quelques clics. Ils poursuivent leurs recherches, un site menant à l'autre et ainsi de suite. Une «escalade» qui mène quasi toujours à un diagnostic de maladie grave.

Le hic avec les moteurs de recherche, expliquent les chercheurs de Microsoft, c'est que, pour expliquer un banal mal de tête, on a autant de possibilités d'aboutir à une tumeur au cerveau qu'à un manque de caféine. On sait pourtant que le risque d'être atteint d'un cancer du cerveau est infiniment plus rare: un sur 10 000. Selon l'estimation naïve basée sur les résultats affichés, on est porté à croire que le risque est de un sur quatre, déplorent les auteurs. Ils remettent en question la configuration des moteurs de recherche.

C'est d'autant plus préoccupant, disent-ils, que plusieurs utilisateurs perçoivent les réponses données par le moteur de recherche comme l'avis d'un expert. Après quelques clics seulement, ils se font une idée sur leurs symptômes. Le sida? La sclérose en plaques? Pas besoin de chercher plus loin. Un internaute sur cinq, parmi ceux qui cherchent une explication à des symptômes, pense souvent qu'un site est plus pertinent s'il arrive en tête de liste des résultats obtenus. Que la réponse correspond davantage à sa requête.

Quand la peur persiste

Après une première «escalade» dans le web, les préoccupations quant à une maladie sérieuse persistent pendant des semaines, voire des mois, chez plus du tiers de ces utilisateurs. Ces inquiétudes viennent interrompre les activités en ligne et autres occupations assez régulièrement chez 23% d'entre eux, indique l'étude de Microsoft.

Ça vous est déjà arrivé? On oublie de payer une facture en ligne, on néglige certaines tâches professionnelles. Cette crainte débouche sur une consultation médicale pour le quart des utilisateurs de sites de santé.

«On est tous préoccupés par notre santé. Toutefois, je pense que les gens qui se rendent malades et qui ont des craintes anormales par rapport à l'information véhiculée sur l'internet sont très rares, avance Marie-Thérèse Lussier, médecin de famille et professeure à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Les personnes inquiètes se tournent vers leur médecin. Ce dernier est en mesure de rassurer et de corriger le tir si les craintes sont non fondées.»

«L'internet n'est qu'une source d'information parmi d'autres. L'information trouvée dans les médias est pondérée par l'avis des amis, de la famille, du pharmacien, du médecin. Le contexte social est résistant. La cybercondrie repose d'abord sur le parcours de vie de l'internaute», souligne Claude Richard, spécialiste en communication médicale et membre de l'équipe de recherche en soins de première ligne de la Cité de la santé de Laval.

Dans les cas les plus graves, la cybercondrie devient invalidante. «À l'extrême, un individu n'est plus en mesure de répondre à ses besoins de base, explique le psychologue Gilles Ouimet. Par exemple, la peur extrême des microbes peut mener quelqu'un à ne plus vouloir rien ingurgiter de peur d'être contaminé. À l'extrême, dans l'hypocondrie, et dans sa variante la cybercondrie, on pourrait dire que quelqu'un a tellement peur des maladies qu'il passe tout son temps à s'informer et à consulter sur les maux dont il se croit atteint.»

 

La santé d'abord

Les chercheurs de Microsoft ont scruté à la loupe le comportement en ligne d'un million d'internautes et interrogé 515 employés de l'entreprise. En gros, ils ont découvert que 2% de toutes les requêtes sur le web concernaient la santé. Le quart des sujets, soit 250 000 utilisateurs, avaient effectué au moins une requête sur la santé durant l'étude. Ceux-ci cherchent de l'information sur les symptômes (85,8%), les conditions médicales graves (49,1%), le diagnostic médical (41,7%), les forums et témoignages (38,1%).