Les sénateurs ont entamé mercredi soir l'examen du projet de loi anti-piratage qui vise à dissuader les internautes de télécharger illégalement des oeuvres par une riposte «graduée», une mesure déjà contestée par certains dans la majorité.

Le projet de loi «favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet» vise à faire cesser «l'hémorragie des oeuvres culturelles sur internet» et à favoriser le développement de l'offre légale de musique, films et programmes audiovisuels sur le web.«La France détient le triste record de champion du monde» de la piraterie sur le net, a rappelé la ministre de la Culture, Christine Albanel. Un milliard de fichiers piratés d'oeuvres ont été échangés dans l'hexagone en 2006.

Pour lutter contre ce phénomène, le projet de loi crée une Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur l'internet (Hadopi), que les ayants-droit pourront saisir s'ils constatent que leurs oeuvres font l'objet d'un téléchargement illicite.

L'Hadopi enverra un premier avertissement par courriel à l'internaute. S'il recommence, il recevra une lettre recommandée.

Après cette phase préventive et pédagogique sur laquelle le gouvernement compte beaucoup, l'autorité administrative indépendante pourra passer aux sanctions. L'internaute risquera une suspension de trois mois à un an de son accès à internet. Sauf s'il accepte une transaction et s'engage à ne pas recommencer, auquel cas la coupure pourra être réduite à entre un et trois mois.

«La visée pédagogique et préventive de ce mécanisme est essentielle et constitue le coeur du projet du gouvernement», a déclaré Mme Albanel au Sénat.

«70% des internautes cesseraient de télécharger dès le premier message d'avertissement et 90% dès le second», a expliqué Mme Albanel en citant une étude réalisée en Grande-Bretagne.

Mais la commission des Affaires économiques du Sénat, à majorité UMP et saisie pour avis, a adopté mardi soir un amendement qui remplace cette coupure d'accès à internet par «une amende».

Cette initiative, qui s'inscrit dans une série de contestations de mesures gouvernementales au sein de la majorité, a été désapprouvée par le gouvernement, le groupe UMP ainsi que la commission des Affaires culturelles.

Mme Albanel s'est a nouveau montrée «réservée» sur cette disposition qui instaurerait une «inégalité» entre les internautes capables de s'acquitter de leur amende et les autres.

Le sénateur (non-inscrit) Bruno Retailleau, rapporteur de la commisssion des Affaires économiques, a toutefois maintenu sa position, qualifiant ce désaccord de «parfaitement normal».

«Vous avez des zones où vous ne parviendrez pas à faire le tri entre les services télévision, téléphone fixe et internet, donc la suspension c'est discriminatoire», a-t-il fait valoir.

«Comment réorienter les comportements vers l'offre légale, si on coupe le fil qui permet d'aller vers l'offre légale ?», s'est-il encore interrogé.

«L'urgence est là!», a pour sa part lancé la socialiste Catherine Tasca, ancienne ministre de la Culture de Lionel Jospin, en référence à la «déterioration de l'économie de la culture».

«Vous semblez conditionner l'offre légale à la lutte contre le piratage, vous participez ainsi à entretenir un sentiment de défiance chez les internautes», pointant ce qui constitue, selon elle, «le déséquilibre du texte», que les sénateurs PS devraient néanmoins soutenir.

«Nous ne voulons pas» de la «guerre» entre «internautes et créateurs», a-t-elle encore souligné.