Les méthodes de surveillance de la Stasi est-allemande évoquaient «Big Brother» de George Orwell. Dans l'Allemagne réunifiée, démocratique et hautement technologique, certains craignent un retour de l'Etat omniscient.

Deutsche Telekom, premier opérateur en Allemagne, est au coeur d'un scandale national depuis une semaine pour avoir fait espionner ses propres cadres et des journalistes pour identifier l'origine des fuites à la presse.

Même l'ancien patron de la Fédération de l'industrie allemande BDI, Hans-Olaf Henkel, a condamné ces méthodes «repréhensibles et comparables aux méthodes de la Stasi», la police secrète de la RDA communiste.

Le patron de Deutsche Telekom René Obermann a assuré que les données personnelles des millions de clients étaient «sécurisées»... sans forcément convaincre.

Bien avant ce scandale, les défenseurs des libertés se sont mobilisés contre les excès de la surveillance qui se développe dans le monde entier depuis les atttentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

Depuis le 1er janvier, en application d'une directive européenne, les opérateurs de télécoms allemands doivent conserver pendant six mois la trace de toutes les communications téléphoniques et par internet.

Ils ne doivent pas écouter ou enregistrer les communications ni lire les courriels mais garder la trace des numéros appelés et des pages web visitées pour que la police puisse les consulter.

Des milliers d'Allemands ont manifesté samedi contre cette mesure dans une dizaine de villes à l'appel des militants du «Groupe de travail enregistrement des données». Une plainte a d'ailleurs été déposée devant la cour constitutionelle, elle est soutenue par 30 000 signatures, un record en Allemagne.

Les militants ne contestent pas le bien fondé de la lutte contre le terrorisme mais dénoncent les risques de dérives à la Big Brother, le dictateur du roman «1984» de George Orwell qui exerce une surveillance totale sur la population.

«Ces méthodes affectent tout le monde et sont des moyens puissants de contrôle politique», dit Patrick Breyer du «Groupe de travail».

Le danger, c'est la centralisation des données par une autorité puissante, estime-t-il. «C'est un des traits caractéristiques d'institutions comme la Stasi et la Gestapo. Ce n'est pas pour rien qu'après 1945, ces pouvoirs ont été confiés aux autorités des Länder (Etats fédérés) plutôt qu'à l'Etat fédéral.»

L'étendue de la surveillance est déjà une réalité pour les habitants de Bad Segeberg, proche de Hambourg, depuis un incendie une nuit de juin 2005.

Tous ceux qui se trouvaient avec un portable dans un rayon de plusieurs kilomètres du sinistre ont reçu une lettre de la police leur demandant ce qu'ils faisaient cette nuit-là.

Les destinataires ont été stupéfaits que la police puisse les localiser aussi facilement, et furieux. «Suis-je un suspect? Faut-il appeler un avocat?», a demandé un habitant de 43 ans au journal local Kieler Nachrichten.

Le risque d'erreur est bien réel aussi, comme l'a constaté un professeur quand la police a perquisitionné chez lui et saisi son PC en le soupçonnant d'avoir téléchargé de la pornographie infantile. L'opérateur internet leur avait donné une mauvaise adresse IP (identification de l'ordinateur).

Pour dénoncer l'inclusion des données biométriques dans les passeports allemands, un groupe de militants, le Chaos Computer Club (CCC) a publié en mars les empreintes digitales du ministre de l'Intérieur Wolfgang Schaüble, recueillies sur un verre qu'il avait eu en main.

Sur son site web, le groupe explique comment fabriquer de fausses empreintes digitales. «Ce que nous voulons démontrer c'est que les empreintes digitales biométriques ne sont pas sûres, elle ne servent qu'à alourdir encore la surveillance», explique Frank Rieger du CCC.