Honnêtement, qui peut prétendre avoir 300 amis? À moins d'être très charismatique, entretenir un tel régiment est presque impossible. Ne serait-ce que pour des raisons pratiques; peu de gens ont une maison assez grande pour les recevoir et suffisamment de temps pour les rencontrer.

Honnêtement, qui peut prétendre avoir 300 amis? À moins d'être très charismatique, entretenir un tel régiment est presque impossible. Ne serait-ce que pour des raisons pratiques; peu de gens ont une maison assez grande pour les recevoir et suffisamment de temps pour les rencontrer.

C'est pourtant le genre de chiffres que l'on voit dans les profils des utilisateurs de Facebook, MySpace et autres réseaux de socialisation en ligne. Ces sites qui mettent l'amitié à toutes les sauces ont fini par en changer la définition.

Ou du moins, ils l'ont noyée dans une collection hétéroclite de connaissances, de votre plus tendre moitié à l'emballeur de votre épicerie, en passant par votre belle-mère et, perdus au milieu de la mosaïque de portraits affichés dans votre profil, une poignée de véritables amis - selon le sens traditionnel du terme.

«La banalisation de l'amitié sur l'internet est fascinante. L'amitié devrait correspondre à des liens si précieux qui contribuent à notre bonheur. Mais le terme est maintenant galvaudé», dit Pierre Côté, un sondeur de Québec qui a publié une étude sur l'amitié et le bonheur au Québec.

Sur MySpace, où on se fait même donner un ami d'office quand on s'inscrit pour la première fois: Tom, le créateur du site (www.myspace.com/tom). Peu d'«amis» de ce cher Tom pourraient dire qu'ils ont élevé les cochons ensemble.

Collectionner les amis

Certains utilisateurs de Facebook ou Twitter vont jusqu'à demander à des centaines d'inconnus de devenir leurs amis et en affichent assez sur leur profil pour remplir le Métropolis. Vous avez sûrement été sollicités par l'un de ces gourmands sociaux dans votre profil Facebook. Et pourtant, ils semblent n'avoir rien à vous vendre. Mais que nous veulent-ils à la fin?

«Il s'agit moins d'avoir des amis que de collectionner des amis», pense Kate Raynes-Goldie, chercheuse de Toronto qui a étudié l'amitié sur l'internet en prenant pour exemple la communauté en ligne LiveJournal.

«Beaucoup de gens ajoutent de nouveaux amis à leurs profils alors qu'ils ne leur ont parlé qu'une seule fois. L'autre jour, j'ai rencontré dans la rue une personne qui m'a ajouté comme amie dans Facebook et elle ne m'a même pas dit bonjour», poursuit-elle.

«Le problème, c'est moins de qualifier n'importe qui d'ami que de mélanger ces gens qu'on connaît à peine avec les collègues de travail, la famille, les amis de longue date. Tous logent à la même enseigne, et ça donne lieu à un manque de cloisonnement. Mon patron peut voir un message inapproprié laissé sur mon profil par un de mes amis. Des clients ou employeurs potentiels peuvent voir mes photos de party», s'inquiète Mme Raynes-Goldie.

Tous dans le même panier

«On devrait pouvoir séparer les catégories d'amis en différentes listes pour éviter ces problèmes, mais alors certains se vexeraient d'appartenir à une liste et pas une autre. Certaines personnes qui croient être mes amis découvriraient qu'ils ne le sont pas. On ne s'en sort pas», explique cette jeune chercheuse.

Que pensent nos vrais amis de ce joyeux mélange? Selon Barry Wellman, directeur du laboratoire NetLab à l'Université de Toronto, les sites comme Facebook ont au moins l'avantage d'intensifier les relations d'amitié existantes, à défaut d'en créer véritablement de nouvelles.

«Les sites sociaux, et même l'internet en général, ont permis aux gens de prendre la plume beaucoup plus qu'ils ne le faisaient avant, indique M. Wellman. Je ne sais pas s'ils se font de nouveaux amis, mais ils entretiennent mieux ceux qu'ils avaient déjà. On entend très souvent ce témoignage dans nos recherches.»

Vrais ou faux, tous ces amis ont au moins une chose en commun: ils voient tout ce que vous faites, aimez, fréquentez, diffusez, et vous en savez tout autant sur eux. Et au-dessus de la mêlée, Facebook analyse tout cela.

L'amitié, c'est de l'argent

«Facebook exploite la théorie des six degrés de séparation, ils analysent les liens communs entre leurs utilisateurs pour en faire des clientèles cibles pour les annonceurs publicitaires», analyse Jean-Claude Guédon, professeur en littérature comparée à l'Université de Montréal qui suit ces technologies depuis leurs débuts.

«L'amitié est ainsi non seulement galvaudée, mais aussi exploitée, précise M. Guédon. Cela dit, chacun y trouve son compte. Les gens renforcent les liens avec leurs vrais amis et renouent avec de vieilles connaissances. Les réseaux sociaux peuvent être aussi constructifs, selon la façon dont on les utilise.»

Qu'est-ce que l'amitié?

Les différentes études portant sur l'amitié tendent à définir un ami comme quelqu'un avec qui on discute de sujets intimes. Or, pour la plupart des gens, le nombre d'amis qui répondent à cette définition se compte sur les doigts de la main.

Selon cette définition, 75% des internautes québécois affirment avoir trois amis et moins, et 18% n'en auraient qu'un seul ou aucun, d'après une enquête menée par Côté Communication Conseil, une firme de Québec.

«Plus on vient d'une famille nombreuse, moins le réseau d'amis est développé, et inversement», explique Pierre Côté, qui a mené cette enquête auprès de 4106 répondants volontaires avec un questionnaire sur le web (indicedebonheur.com). «Même chose avec le niveau d'éducation: il est proportionnel au nombre moyen d'amis. En outre, les gens les plus âgés ont moins d'amis que les plus jeunes.»

Internet ou pas, l'amitié est en perte de vitesse dans la société, si on en croit une étude récente de l'American Sociological Review. En 1985, dans une proportion de 25%, l'Américain moyen avait trois personnes à qui se confier sur des sujets personnels. En 2004, il n'en a plus que deux et un sur quatre n'a plus aucun confident.

En revanche, les liens familiaux se sont renforcés. Toujours selon cette étude, le nombre de gens qui se confient plutôt aux membres de leur famille est passé de 57 à 80%.

Comme quoi, plus on «réseaute», plus on reconnaît ses vrais amis.