Rapide, le courrier électronique? Pas pour les détaillants québécois.

Rapide, le courrier électronique? Pas pour les détaillants québécois.

Selon les résultats d'une enquête exclusive de La Presse Affaires, moins d'un commerce sur deux répond aux courriels de ses clients en 48 heures et 40% mettent plus d'une semaine à le faire.

Il faut être patient quand on adresse un commentaire, une plainte ou une question par courriel à un commerce de détail.

C'est qu'à peine une entreprise sur trois (34%) répond dans les 24 heures suivant la réception d'un message et moins d'une sur deux (48%) y répond à l'intérieur de deux journées.

Pire, 40% mettent plus de sept jours à réagir, alors que 10% ne répondent pas après 30 jours, même à la suite d'un message de rappel.

C'est ce qui ressort d'une enquête exclusive menée en novembre par La Presse Affaires auprès de 50 commerces afin de tester l'efficacité du service à la clientèle des entreprises dans leur utilisation du courriel.

Pour ce faire, nous leur avons envoyé simultanément un message identique. Celui-ci ne comportait que trois questions simples concernant les heures d'ouverture, l'emplacement d'une succursale ainsi que les cartes de crédit acceptées.

Il était accompagné d'une signature et d'une adresse courriel de retour.

Pourtant, seulement 26% des commerces interrogés ont répondu à chacune des questions. Une autre part de 26% s'est contentée de donner deux réponses sur trois, alors que dans 12% des cas, le message ne contenait qu'une réponse.

Les 36% restants nous ont simplement référés à des sections de leur site, à des numéros de téléphone ou à du personnel en succursale pour obtenir les renseignements demandés.

Ces résultats sont désolants, estime Andrée Ulrich, consultante et formatrice en service à la clientèle et en gestion des plaintes.

«La plupart des entreprises mettent à la disposition des clients et des consommateurs une section «Contactez-nous» sur leur site Web, mais bien peu d'entre elles savent s'en servir efficacement et rapidement», juge-t-elle.

«Elles encouragent les gens à recourir au courriel dans le but de libérer leurs téléphonistes, mais elles ignorent comment gérer cet outil de communication.»

À ce chapitre, Andrée Ulrich, qui a publié aux éditions Transcontinental le livre Comment gérer les plaintes de ma clientèle, note de l'incohérence dans les organisations.

«Ceux qui bâtissent des sites Web y ajoutent automatiquement une fonction «Contactez-nous», mais n'en discutent pas avec les éventuels responsables afin de savoir comment elle sera utilisée. Des entreprises vont même élaborer un guide exhaustif de politiques communicationnelles écrites, mais elles négligent de le transmettre aux employés responsables du service à la clientèle. Par conséquent, ceux-ci improvisent en fonction des situations qui se présentent.»

Pas plus de deux jours

Sur la base de nos trois questions, la spécialiste estime que 48 heures suffisaient pour répondre correctement.

«Fournir des réponses sur sa période d'ouverture ou les cartes de crédit acceptées ne nécessite pas de grandes recherches, explique-t-elle. Ce n'est pas comme quand l'on doit aller chercher l'information auprès d'un employé ou d'un patron. Le délai normal est alors de cinq à sept jours.»

Dans tous les scénarios, Andrée Ulrich estime qu'il faut au moins montrer au client qu'il ne parle pas dans le vide.

«Un simple message confirmant la réception des questions indiquera que le processus est en marche, ce qui rassurera le consommateur.»

À ce chapitre, seulement 10% des commerces contactés lors de notre enquête sont dotées d'un tel mécanisme.

L'experte se dit d'autant plus étonnée du manque d'empressement des commerces sondés que les trois questions qui leur étaient adressées étaient orientées vers un acte d'achat.

«Dans le cas des plaintes, les responsables du service à la clientèle réagissent vite, par peur de perdre un client, dit-elle. Ici, on manifestait clairement le désir d'aller dépenser chez eux. Je m'explique donc très mal des réactions aussi désintéressées.»

En plus de la lenteur des commerces, Andrée Ulrich déplore la qualité de l'information qu'ils ont fournie.

«Pourquoi répondre à certaines questions et pas à toutes? demande-t-elle. Cela envoie au client le signal que son courriel d'à peine trois ou quatre lignes n'a pas été lu avec attention.»

Elle dénonce du même souffle les organisations qui se limitent à référer les demandes à une ligne téléphonique 1-800 ou encore à une section spécifique de leur site.

«Le consommateur prend la peine de contacter l'entreprise pour obtenir une information. Il s'attend donc à un minimum de respect de celle-ci», plaide-t-elle.

L'idéal est de lui offrir d'abord une réponse personnalisée, puis, au besoin, de lui envoyer un ou des hyperliens afin de l'aiguiller pour l'avenir.

Cela dit, certains commerces se démarquent par leur rapidité et la qualité de leur réponse. Par exemple, six d'entre eux ont répondu à notre message en moins de trois heures.

Toutefois, du nombre, seulement quatre ont répondu à nos trois questions tout en accompagnant leur message du nom d'une personne-ressource et de ses coordonnées, une nécessité selon Andrée Ulrich.

On note que de ces six entreprises, cinq sont locales (Brault & Martineau, Lunetterie New Look, Alimentation Couche-Tard, Club Piscine et St-Hubert).

La seule entreprise étrangère est la chaîne américaine de clubs vidéo Blockbuster. Sa réponse provenait toutefois d'une employée montréalaise.

Brault & Martineau a été le commerce le plus rapide, transmettant des réponses à nos trois questions 18 minutes après notre envoi. Puis, Blockbuster a suivi avec une réponse personnalisée 28 minutes après réception de notre demande.

La chaîne de lunetteries New Look est la seule autre à avoir répondu dans un délai inférieur à 60 minutes.

Septième au classement de rapidité, Bureau en gros n'a cependant fourni aucune réponse, se contentant de nous renvoyer à son site. Le libellé du message laisse penser qu'il s'agit d'une réponse préparée d'avance.

Notons que 7 des 10 entreprises ayant répondu le plus rapidement offrent sur leur site une adresse de courriel aux internautes désireux de poser des questions. Les trois autres proposent plutôt un formulaire à remplir.

Explications des retardataires

En tout, 45 entreprises ont répondu à nos questions. Trente-six ont répondu à notre premier message, alors que neuf n'ont réagi qu'au deuxième.

Parmi les cinq commerces n'ayant pas répondu après 30 jours, on trouve la chaîne de stations-services Petro-Canada. Pourtant, la toute première section de la page «Service à la clientèle de Petro-Canada» de son site Web affiche la phrase «Envoyez-nous un courriel et vous recevrez une réponse dans les deux jours ouvrables».

Pour Andrew Pelletier, responsable des communications et des relations médias, cet engagement non tenu s'explique en partie par le lock-out des 264 employés de la raffinerie montréalaise imposé le 17 novembre dernier.

«Nos cadres travaillent, logent et vivent presque exclusivement à la raffinerie», explique-t-il, signalant qu'il n'avait lui-même bénéficié que d'un jour de congé dans le dernier mois.

Cela dit, Andrew Pelletier assure qu'en temps normal, les courriels sont bel et bien traités en 48 heures ou moins.

«Ils sont transmis à Toronto, mais dès que les questions et commentaires touchent le Québec, un employé d'ici est responsable d'y répondre.»

Signe que le lock-out actuel laisse des traces ailleurs, le numéro de téléphone du responsable des relations médias de Petro-Canada affiché sur un communiqué daté du 17 novembre était erroné au moment de nos recherches pour le contacter!

Chez IGA, autre détaillant demeuré muet, on justifie la non-réponse à nos deux messages par la disparition de l'adresse sac@iga.net au profit d'une ligne téléphonique le 17 octobre dernier.

En fait, ladite adresse a été retirée du site d'IGA, mais pas de celui de Sobeys, son entreprise mère. De plus, comme elle n'a pas été désactivée, ceux qui l'ont utilisée de la mi-octobre à la mi-décembre n'ont pas reçu un message d'erreur, reconnaît Marie-Hélène Lavoie, conseillère en communications.

«Le volume de courriels devenait trop élevé pour conserver l'adresse active, indique-t-elle sans dévoiler de chiffres à ce sujet. Nous avons jugé qu'une ligne 1 800 disponible sept jours sur sept permettrait des échanges plus rapides et davantage précis, de personne à personne. Pour ce qui est de l'écrit, les consommateurs peuvent encore laisser des commentaires en s'abonnant à notre newsletter.»

Des géants mal équipés

Étonnamment, des détaillants comme Sports Experts, Burger King, Home Depot et McDonald's n'offrent aucune adresse sur leur site Web pour que les internautes communiquent avec eux.

Ainsi, la seule adresse disponible sur le site de Sports Experts aboutit au service des ressources humaines et est cachée dans la section «Politique relative au curriculum vitae».

Cette section a été révisée pour la dernière fois en 2004. La section «Pour communiquer avec nous» du site canadien de Burger King, elle, propose un numéro 1 877 ainsi qu'une adresse de correspondance à Miami.

Pour sa part, la division canadienne de McDonald's ne montre sur son site que trois numéros de téléphone (à Montréal, Toronto et Vancouver) ainsi qu'une adresse postale torontoise. Enfin, le site de Home Depot n'offre à sa section «Contactez-nous» qu'un numéro de téléphone 1 800.

La situation de ces géants rappelle celle de la fin des années 90, alors que plus de 40% des sites d'affaires et commerciaux ne comportaient même pas une simple adresse pour formuler des commentaires ou des questions.

L'absence d'un courriel sur ces sites étonne Andrée Ulrich.

«Les entreprises ont pourtant avantage à ouvrir le maximum de canaux de communication, comme des lignes téléphoniques dédiées aux clients et des adresses de courriel, croit-elle. Mais elles doivent aussi utiliser d'autres véhicules, par exemple en affichant un numéro de téléphone sur les factures ou en inscrivant l'adresse de leur site à proximité des entrées et des caisses enregistreuses, etc.»

MÉTHODOLOGIE

La Presse Affaires a identifié 50 commerces de détail (pharmacies, supermarchés, etc.) de façon aléatoire. Seul critère, ils devaient comporter plus d'une succursale dans l'île de Montréal.

Afin de refléter le marché, nous avons choisi des chaînes locales (Metro, Brault & Martineau, Renaud-Bray, etc.), nationales (Tim Hortons, Rogers, etc.) et internationales (IKEA, Esso, etc.).

Notre courriel a été envoyé le matin du lundi 12 novembre 2007

Il comportait trois questions:

- Quelles sont vos heures d'ouverture?

- Où se trouve votre succursale la plus proche de la station de métro Rosemont à Montréal?

- Quelles cartes de crédit acceptez-vous?

Ces questions étaient volontairement simples. De fait, les renseignements demandés se trouvaient souvent sur le site même des détaillants, car le but de l'exercice n'était pas de piéger ceux-ci. Notre objectif était triple :

- MESURER LES DÉLAIS DE RÉPONSE:

Combien allaient nous répondre en 24 heures, en trois jours, en une semaine?

- ÉVALUER LEUR DEGRÉ DE PRÉCISION:

Allaient-ils répondre aux trois questions ou simplement nous référer à leur site ou à un numéro 1 800?

- DÉCOUVRIR LE DEGRÉ DE PERSONNALISATION DE LA RÉPONSE:

Serait-elle accompagnée d'une signature et d'un numéro de téléphone pour obtenir de l'information supplémentaire?

Le matin du lundi 26 novembre, deux semaines après notre premier envoi, nous avons retourné le même message aux entreprises fautives en leur signalant l'attente d'une réponse à notre courriel d'origine.