On dit qu'on n'a jamais une deuxième chance de faire une première bonne impression. Pourtant, le clavardage permet de faire deux premières impressions : la première, en ligne, et la deuxième, en personne. Et même si la seconde se révèle parfois décevante, l'étiquette commande de continuer à jouer le jeu commencé sur Internet... ne serait-ce que pour une soirée.

On dit qu'on n'a jamais une deuxième chance de faire une première bonne impression. Pourtant, le clavardage permet de faire deux premières impressions : la première, en ligne, et la deuxième, en personne. Et même si la seconde se révèle parfois décevante, l'étiquette commande de continuer à jouer le jeu commencé sur Internet... ne serait-ce que pour une soirée.

Ça fait des semaines que vous clavardez avec la même personne. C'est le grand soir: vous allez enfin la rencontrer. Mais entre l'idée que vous vous êtes fait de l'autre et la réalité, il y a une marge... et parfois même un fossé. C'est ce que Madeleine Pastinelli appelle le décalage identitaire.

La professeure de sociologie de l'Université Laval qui étudie les relations développées sur les canaux de clavardage remarque que «les gens sont intimes, sans être familiers.»Les deux personnes se sont forgé une image de l'autre avec les quelques photos disponibles, mais l'apparence réelle peut être bien différente. Et l'aspect physique demeure important, surtout lorsqu'il y a flirt entre les deux personnes. C'est pourquoi les habitués sont plus pressés de rencontrer : ils veulent se faire rapidement une représentation plus juste de l'autre et ne pas perdre de temps avec ceux qui ne leur correspondent pas.

Mais la découverte la plus intéressante du point de vue de Mme Pastinelli, c'est l'attitude des internautes lorsqu'ils se trouvent finalement face à face. Et surtout lorsqu'il y a déception.

«Au moment de la rencontre, la règle du jeu social veut qu'on assure la continuité de ce qui s'était joué dans Internet», indique-t-elle. Donc, même si l'on n'a aucune envie de revoir la personne, qu'on se dit que dès ce soir nous allons la bloquer et ne plus jamais donner de nouvelles, on va passer la soirée en sa compagnie, tenter de maintenir la même complicité qu'on partageait en ligne. Et plus le lien sur Internet était fort, plus cette volonté se fera sentir. À l'occasion, cette persévérance courtoise peut porter fruits.

«Parfois, ils vont dépasser la première impression pour arriver à autre chose. Et ça, c'est absolument fascinant. Ce que ça dit, c'est qu'il n'y a pas de rupture pour l'internaute entre ce qu'il est devant son écran et ce qu'il est quand il se retrouve devant l'autre», explique Mme Pastinelli, enthousiaste.

Liens solides

Mme Pastinelli a pu observer que les liens sur Internet n'ont rien d'éphémère, comme on serait porté à le croire. Sur le canal de bavardage qu'elle a fréquenté pendant deux ans (2001-2003) pour sa thèse, plusieurs internautes en faisaient partie depuis les débuts, cinq, six ans plus tôt.

«Et même quand les gens arrêtent de chatter, ils demeurent en contact. Ils vont s'échanger les courriers électroniques, se visiter à l'occasion, se donner des nouvelles d'une manière ou d'une autre», a-t-elle constaté. Elle-même s'est laissée prendre au jeu et a gardé contact avec une partie d'entre eux, même si sa recherche est terminée depuis quelques années. Lorsqu'elle voyage à l'extérieur de la ville, elle en profite pour aller visiter des internautes. Certains ont lu ses rapports ou sont venus écouter ses conférences et quelques-uns ont même assisté à la soutenance de sa thèse. Des liens qui n'ont rien de virtuel.

Madeleine Pastinelli, Des souris, des hommes et des femmes au village global : Parole, pratiques identitaires et lien social dans un espace de bavardage électronique, Presses de l'Université Laval, en librairie à compter du 8 mai.

La professeure de sociologie Madeleine Pastinelli a elle-même noué des liens solides avec des internautes sur le canal de bavardage qu'elle a fréquenté pendant deux ans, entre 2001 et 2003, en vue d'élaborer sa thèse.