Voici Jingjing et Chacha, les deux sympathiques agents de la paix qui surveillent tout ce que vous dites sur Internet, si vous êtes résidant de Shenzhen, dans le sud de la Chine.

Voici Jingjing et Chacha, les deux sympathiques agents de la paix qui surveillent tout ce que vous dites sur Internet, si vous êtes résidant de Shenzhen, dans le sud de la Chine.

«Ces deux adorables personnages ont été insérés aux sites et forums Web de la municipalité de Shenzhen pour répondre aux questions des internautes et prendre en main les urgences», indiquait récemment le Quotidien du peuple, organe de presse du Parti communiste chinois édité en six langues étrangères.

«Par l'intermédiaire de ces cyberpoliciers, les départements locaux de sûreté publique pourront envoyer directement des avertissements aux citoyens dont le comportement est jugé inapproprié», poursuit le quotidien.

L'omniprésence de Jingjing et Chacha (noms tirés de «Jing Cha») qui signifie simplement «police» sur les pages Web de la ville de Shenzhen est symptomatique d'une politique de surveillance qui touche les dizaines de millions d'internautes chinois. Ouvertement affichée à différents ordres de gouvernement, la censure ne se cache pas, elle se montre fièrement.

«Les autorités de Shenzhen se sont montrées très inventives avec ces deux personnages», juge André Laliberté, sinologue qui enseigne au département de sciences politiques à l'UQAM. «Ils se rendent compte que la censure est peu populaire, alors ils essaient de lui donner un visage sympathique.» Mais que sont ces «comportements inappropriés» que l'on veut contrôler sur le Web? Les internautes chinois l'ignorent parfois eux-mêmes. En effet, il n'existe pas de liste officielle des mots ou débats interdits.

On les découvre soi-même en tentant en vain de les soumettre à des moteurs de recherche situés à l'extérieur de la «Grande Muraille de feu», le système de filtrage gouvernemental qui isole la Chine du reste du Web. Les thèmes «chauds» peuvent changer d'une semaine à l'autre, selon les décisions du Bureau d'information du conseil d'État. Résultat: dans le doute, les internautes se censurent eux-mêmes. «Les autorités chinoises filtrent tout ce qu'elles jugent comme de la pollution spirituelle», explique M. Laliberté.

«Ça inclut des choses comme la pornographie, mais aussi tout ce qui peut provoquer l'instabilité. C'est là que les citoyens ordinaires restent perplexes. En effet, si je dénonce la corruption dans mon village, c'est mon droit garanti par la Constitution, mais les conséquences de ma dénonciation peuvent amener une instabilité, et je peux donc être sanctionné.»

«Les internautes doivent toujours prendre des décisions difficiles quand ils veulent dénoncer quelque chose, poursuit le chercheur. Par prudence, à défaut de savoir s'ils peuvent ou non exprimer une idée, ils vont souvent opter pour l'autocensure. D'autres vont être plus défiants et tenter leur chance; ça dépend des individus. Les plus sophistiqués vont utiliser un discours codé, par exemple avec l'ironie: on parle à mots couverts en vantant le régime alors qu'en réalité, on est en train de le critiquer.»

Il vaut mieux être prudent, car de vrais policiers veillent au grain derrière les visages rieurs de Jingjing et Chacha.

«La fonction réelle de Jingjing et Chacha est de rappeler aux internautes que la police les surveille tout autant que dans le monde réel», a déclaré un de ces policiers en chair et en os au quotidien Beijing Qingnian Bao, cité par le New York Times Magazine. «Ils rappellent que l'Internet doit être utilisé de manière saine et sécuritaire, et invitent les usagers à réguler eux-mêmes leur comportement en ligne, pour maintenir ensemble un ordre harmonieux sur Internet.»

Cela dit, la plupart des internautes ne font pas de politique sur le Web, comme le souligne M. Laliberté. «On dit souvent que les internautes chinois sont à l'avant-garde du combat pour la liberté, mais quand on va dans un Wan Ba (cybercafé), les gens utilisent surtout l'Internet pour les jeux.»