Depuis 2001, Gordon Bell enregistre chaque instant de sa vie. À tout le moins chaque moment où il a une interaction avec le monde extérieur. Le chercheur émérite de Microsoft est intarissable quant aux promesses de MyLifeBits, le projet qui lui permet d'enregistrer chaque courriel, chaque conversation, chaque émission qu'il écoute ou regarde ainsi que tout ce qu'il lit.

«Ce n'est pas la même chose que Facebook ou le lifeblogging, explique Gordon Bell, que La Presse a joint à San Francisco. On conserve ces informations pour soi, pour la postérité si on veut. Au départ, c'est simplement un aide-mémoire qui nous permet de cesser de chercher des idées ou des informations qui nous semblent utiles. Il suffit de se souvenir qu'on faisait telle chose ou qu'on parlait à telle personne quand on a eu l'idée, et la retrouver devient facile. Une simple recherche par mot-clé suffit.»

 

Les travaux de l'informaticien californien, qu'il décrit dans son livre Total Recall, ont mené une entreprise britannique, Oxford Metrics, à inventer une caméra qui fonctionne dès qu'elle détecte un changement soudain de luminosité (quand on va dehors, par exemple) ou que le niveau sonore trahit une conversation. «Nous avons pensé que ce serait utile pour les personnes dans les premières phases de démence ou d'Alzheimer», indique Imagen Moorhouse, la directrice générale d'Oxford Metrics. «Mais il nous faut davantage de données scientifiques avant que les autorités médicales n'autorisent ce type d'utilisation. Alors, nous avons pensé aux gens qui veulent enregistrer tout ce qu'ils font, comme le propose Gordon Bell.» La caméra, qui s'appelle Camsense, devrait être commercialisée en 2010.

Le chercheur de Microsoft a eu l'idée de son projet en 1998, au moment de faire le ménage dans ses archives. «J'ai décidé de tout numériser. Ensuite, j'ai pensé que, au lieu de numériser après coup, je pourrais le faire au fur et à mesure. Je suis tombé par hasard sur un projet futuriste qui remonte à 1945, Memex. C'était une invention du directeur du Bureau américain de recherche scientifique, Vannevar Bush, l'inventeur de l'un des premiers ordinateurs, dans les années 20. Il proposait de se promener avec un appareil photo pour mettre sur microfilms les documents qu'on consultait et une caméra pour filmer nos moindres faits et gestes. À l'époque, c'était impossible, mais avec l'expansion inouïe et continuelle des capacités d'entreposage numérique, je me suis dit qu'on pourrait certainement y arriver.»

Existe-t-il des données trop personnelles pour qu'on veuille les enregistrer? «Pas si elles ne sont accessibles qu'à l'utilisateur principal, répond M. Bell. Il faut peut-être même prévoir l'effacement des données après le décès. Mais personnellement, je n'ai rien à cacher.»

Des critiques de Total Recall ont avancé qu'il s'agit d'un désir enfantin de pouvoir absolu sur sa propre vie, voire d'un désir d'immortalité. «C'est ridicule, dit M. Bell. C'est simplement un mécanisme d'archivage. L'armée américaine l'a bien compris et cherche à mieux utiliser les images captées par les caméras que portent les soldats, qui peuvent par exemple dévoiler des modus operandi de l'ennemi. Pourquoi ne pas optimiser les leçons que nous offre notre propre vie?»