Engagés dans un bras de fer juridique avec Google, les éditeurs français préparent l'arrivée du livre numérique qui s'apprête à décoller en Europe après avoir bouleversé le marché américain.

«Il y a un fossé entre nos problèmes et la politique menée par ceux qui nous gouvernent en termes de numérique», a estimé le président du Syndicat national de l'édition (SNE), Serge Eyrolles, devant les assises du livre «à l'heure du numérique» réunies mercredi à Paris.

«Ils n'ont pas capté le virage de la musique, il faut vraiment qu'ils captent celui du livre, sinon c'est très dangereux», a-t-il mis en garde.

Annoncé depuis déjà plusieurs années, l'arrivée massive du livre numérique est aujourd'hui au coeur des préoccupations des éditeurs.

Aux États-Unis, les ventes de livres numériques représentaient encore moins de 1% du marché en 2007. En 2008, la proportion est passée à 2%. Et en 2009, 4 à 5% des livres vendus aux Etats-Unis devraient être numériques, a souligné le responsable de la plate-forme numérique allemande Libreka, Ronald Schild, selon qui «on peut s'attendre à une numérisation très rapide».

En octobre, «à la Foire du livre de Francfort, 50% des experts estimaient que la vente de livres électroniques va dépasser celle de livres papier en 10 ans», a-t-il indiqué, avec cette mise en garde: «on constate que ceux qui commencent à lire des livres sur des supports numériques oublient très vite le livre papier».

L'arrivée du numérique suppose une redéfinition du marché et du modèle économique de l'édition. «Il faut inventer l'avenir du livre», résume Virginie Clayssen, présidente de la commission numérique du SNE.

Serge Eyrolles a énuméré quelques questions cruciales pour le secteur : «Est-ce qu'on a besoin d'éditeurs avec le numérique ? Quel doit être le prix d'un livre numérique ? La TVA doit-elle être la même que pour le livre papier ?»

Le décollage du livre numérique s'accompagne de l'arrivée de nouveaux supports de lecture - e-book, tablettes de lecture... - de plus en plus développés, mais dont le prix (200 à 300 euros) reste un obstacle. «Des études montrent que le prix des lecteurs doit descendre à moins de 100 euros pour être attractif pour les consommateurs», souligne Ronald Schild de Libreka.

Autre sujet majeur de préoccupation pour les éditeurs, la numérisation massive de livres par Google, sans autorisation préalable des éditeurs, pour créer une bibliothèque numérique mondiale. Le SNE a engagé avec le groupe La Martinière une action en justice pour «contrefaçon» contre le géant américain devant le TGI de Paris, dont le jugement est attendu d'ici le 18 décembre.

«Il faut absolument que les contenus ne soient pas le monopole d'une société ou de sociétés internationales», martèle Serge Eyrolles, évoquant «une spirale infernale». Le jugement attendu devrait selon lui «faire tache d'encre au niveau européen» et pousser les éditeurs à une stratégie commune.

Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture, a confié pour sa part en octobre à Marc Tessier la présidence d'une mission sur la numérisation du patrimoine, qui doit rendre ses conclusions le 15 décembre. Il a demandé que 753 millions d'euros y soient consacrés dans le cadre du grand emprunt.

Le ministre, qui doit rencontrer ses homologues européens sur ce thème vendredi à Bruxelles, entend parvenir à une alternative européenne efficace pour protéger les auteurs et le patrimoine français et souhaite que l'Etat reste maître du jeu.