Dans un futur rapproché, les bureaux de psychologues pourraient bien être équipés des plus récentes technologies de réalité virtuelle. Le Québec compte parmi les leaders mondiaux en cyberpsychologie. Guérir une phobie en 3D? Hautement efficace, a-t-on démontré. Et ce n'est qu'un début.

Une araignée velue, grosse comme un pamplemousse, se déplace lentement sur le plan de travail. Debout dans la cuisine, je la regarde approcher jusqu'à ce que, par réflexe, je recule net. L'araignée est virtuelle, tout comme le bungalow dans lequel je me trouve. Pourtant, l'effet est saisissant. Bienvenue dans la voûte à six faces Psyché, la seule du genre en santé mentale. Je ne suis pas à Tokyo, mais à Gatineau.

Pour traiter une phobie, c'est prouvé, il n'y a rien comme affronter ses démons. À condition, bien sûr, d'être encadré par un thérapeute et de doser avec soin les stimuli. Plus facile à dire qu'à faire: la thérapie peut être coûteuse et difficilement applicable. On craint l'avion, les foules ou les serpents? Un vrai casse-tête pour le psychologue. Résignés, les phobiques - environ 10% de la population - consultent rarement. La réalité virtuelle vient enfin à leur rescousse.

Plus qu'un film IMAX

Qu'entend-on par réalité virtuelle? «C'est une immersion dans un environnement en trois dimensions dans lequel on peut réagir en temps réel. Comme un film IMAX personnalisé et interactif», explique Stéphane Bouchard, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en cyberpsychologie clinique de l'Université du Québec en Outaouais. On porte un visiocasque ou, pour un effet maximal, on s'enferme dans une voûte immersive comme Psyché, acquise en 2008 par l'UQO.

«On voit les objets qui flottent devant nous, on a une illusion de profondeur. Quand on bouge la tête, le casque capte notre mouvement et fait suivre le décor. C'est beaucoup plus immersif et très prenant.»

Pour encore plus de réalisme, on ajoute des sons et même des odeurs. «S'il y a des turbulences pendant un vol d'avion, la désensibilisation traditionnelle risque de ne pas fonctionner comme prévu. Avec la réalité virtuelle, toutes les variables sont manipulables pour optimiser la thérapie, dit Stéphane Bouchard. On contrôle la grosseur et l'emplacement d'une araignée, les réactions d'une foule, les conditions météo pendant un vol d'avion. Si on veut, on décolle 15 fois par jour.»

Fondé en 1999, le Laboratoire de cyberpsychologie de l'UQO, codirigé par Stéphane Bouchard, reçoit des clients tous les jours. Ils viennent d'aussi loin que Saguenay et Québec pour participer à des études cliniques sur les phobies et l'anxiété généralisée. Au moins 600 personnes ont été admises depuis 10 ans, d'autres sont inscrites sur une liste d'attente. Plusieurs n'avaient jamais osé se faire traiter.

Des résultats prometteurs

Plusieurs études le démontrent: la thérapie en réalité virtuelle fonctionne aussi bien que la thérapie traditionnelle dans les cas de phobies spécifiques.

«Notre équipe l'a confirmé. Le taux de succès tourne autour de 80%, que l'araignée soit réelle ou virtuelle. En moyenne, ça prend huit séances de 60 minutes», indique Stéphane Bouchard. Avec le recul, on sait que la phobie ne réapparaît pas avec les années.

Déjà pratique courante dans la formation des militaires, des astronautes et des médecins, la réalité virtuelle est encore expérimentale en psychologie clinique. On s'intéresse à son potentiel depuis 10 ans à peine.

«Les technologies se perfectionnent, les coûts diminuent et ça rend la recherche plus accessible», dit le chercheur. Partout dans le monde, il y a une cinquantaine de laboratoires de cyberpsychologie. L'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, les États-Unis et le Canada comptent parmi les leaders.

Par la réalité virtuelle, on tente de traiter les troubles alimentaires, le bégaiement, la toxicomanie, l'autisme, la schizophrénie et les déviances sexuelles. «Ça ne remplacera jamais le psychologue, c'est un outil qui s'ajoute à la psychothérapie», souligne M. Bouchard.

À l'UQO, on cherche présentement à savoir si l'utilisation d'humains virtuels diminue l'anxiété sociale et si le sommeil joue un rôle dans l'apprentissage après une thérapie intensive de réalité virtuelle. On s'attaquera d'ici peu au jeu pathologique.

Lors du passage de La Presse, des graphistes 3D s'affairaient d'ailleurs à dessiner des machines à sous dans un décor de casino. «On souhaite aussi aborder le stress post-traumatique avec les soldats revenus d'Afghanistan», dit Stéphane Bouchard.

À quand le 3D chez le psy?

La technologie, encore très coûteuse, freine jusqu'à maintenant le transfert en clinique. Si un visiocasque peut se vendre 2000$, un logiciel coûte au bas mot 50 000$. On prévoit que, dans quelques années, la réalité virtuelle sera plus abordable, l'expertise, davantage répandue et les possibilités, complètement ahurissantes.

Déjà, la réalité «augmentée» - on superpose des éléments virtuels au décor réel - n'a plus rien de futuriste. À l'UQO, on vient d'acheter un équipement du genre. Un peu encombrant, mais pas pour longtemps. Bientôt, de petites lunettes remplaceront visiocasque et câblage. Mieux, on pourrait même arriver à projeter des images 3D directement sur la rétine. Au-delà de la science-fiction.