Aimeriez-vous augmenter votre quotient intellectuel ? Acquérir une mémoire d'éléphant? L'industrie de la «gym du cerveau» fait ses choux gras du culte de la performance et, plus encore, des inquiétudes des boomers face au déclin de leurs facultés cognitives. À grands coups de publicité...

Swami Sai Shivananda se présente comme maître spirituel, yogi et docteur ingénieur. Il est catégorique: le stimulateur cérébral Pr2X Plus qu'il vend 570$ - casque d'écoute et lunettes futuristes comprises! - améliore la mémoire de 55 à 100%, le système immunitaire de 25% et le quotient intellectuel de 15%. «La stimulation par le son et la lumière entraîne le cerveau sur certaines fréquences Hertz où il est plus réceptif. Ça favorise l'apprentissage», dit le Sherbrookois.

Grâce au Pr2X Plus, maîtriser une nouvelle langue serait d'ailleurs un jeu d'enfant. En claquant des doigts, vous apprendrez 500 mots par jour, promet-il. Trop cher? Il propose la neurostimulation pour 15$ la séance à son centre de santé. «En 30 séances de 30 minutes, on arrive à éliminer un trouble du déficit de l'attention. Plus besoin de Ritalin», assure-t-il. Au Québec, plus d'une dizaine de centres offrent ce service, aussi disponible en France et en Suisse.

Efficace ou arnaque, le Pr2X Plus? «C'est de la pure foutaise. C'est basé sur des trucs farfelus. Ce ne sont que des prétentions commerciales, il faut faire attention», prévient Yves Joanette, professeur à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Il est aussi directeur de la recherche à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

Dans une société vieillissante, préoccupée par sa santé, certains ont flairé la bonne affaire. L'industrie de la «gym du cerveau» connaît un essor sans précédent. Aux États-Unis, on estime qu'il s'est vendu pour 225 millions US de logiciels d'entraînement cérébral en 2007. C'est 100 millionsde plus qu'en 2005, indique la firme d'études de marché Sharpbrain. L'arrivée du jeu Brain Age de Nintendo n'est pas étrangère à cette hausse.

«L'offre crée le besoin. On vit dans une société où on nous dit de nous mettre en forme et de bien manger. Le cerveau n'échappe pas à la tendance: on doit agir pour le garder en santé», indique Sylvie Belleville, professeure au département de psychologie de l'Université de Montréal et chercheuse à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

Comment entraîner son cerveau? «Le problème, c'est qu'il n'y a pas de guichet unique et les personnes préoccupées par leur mémoire ne savent pas à quelle porte frapper», déplore Yves Joanette. «Le champ est vierge. Ça laisse une bonne place à ceux qui veulent faire un coup d'argent, ajoute Sylvie Belleville. On trouve vraiment de tout.»

Ça va du pendentif Q-Ray (à 130$), qui dégagerait une énergie spirituelle améliorant la concentration, à la pilule protectrice de mémoire VIVIMINDMC, sur les tablettes depuis septembre. Son fabricant, OVOS Santé naturelle, promet une amélioration de la performance cognitive de 33% et une préservation importante du volume de l'hippocampe, lié à la mémoire. «À ma connaissance, aucun protecteur de la mémoire n'a fait ses preuves à ce jour», souligne Sylvie Belleville, neuropsychologue. Des chercheurs tentent toujours de trouver LA pilule miracle.

Déjà testée chez les gens atteints d'alzheimer, VIVIMINDMC n'a eu aucune efficacité. «Je ne peux endosser le produit dans l'utilisation nouvelle qui en est faite, indique Serge Gauthier, directeur de la recherche sur la maladie d'Alzheimer au Centre McGill d'études sur le vieillissement. On a montré que ce n'est pas toxique, mais on n'a encore aucune donnée scientifique qui prouve son efficacité en prévention.»

Les logiciels, dont on vante les mérites à grands coups de publicités, sont-ils plus efficaces? «On n'en sait rien. Les produits qui ont fait l'objet d'une étude sérieuse sont rares, voire inexistants, indique le neuropsychologue Yves Joanette. Les principes mis de l'avant, comme la stimulation intellectuelle, ne sont pas faux, mais ça se gâte quand on va dans les détails.» Nocifs? «Ça ne fait pas de mal. À la limite, ça vaut bien le sudoku et les mots croisés.»

Cela dit, que penser du sudoku, du bridge et compagnie? «C'est bon, mais pas magique. L'un n'est pas reconnu supérieur à l'autre, affirme Serge Gauthier. L'important est d'avoir des activités intellectuelles, de faire des efforts supplémentaires pour sortir de sa zone de confort.»

Président de Brain Center International, Stéphane Bergeron assure que son logiciel NeuroActive, lancé en 2007, est beaucoup plus efficace que les jeux d'entraînement cérébral. Sur le site web de sa compagnie, on promet un cerveau performant rajeuni de 10 ans. «Les résultats sont rapides, durables et remarquables», peut-on lire.

«Le sudoku n'entraîne qu'une fonction cérébrale, c'est comme si on musclait uniquement son biceps droit. On a créé un exerciseur complet qui travaille l'ensemble du cerveau. Après un entraînement de huit semaines, à raison de trois séances hebdomadaires de 20 minutes, on voit la performance de fonctions cognitives, comme la mémoire et la vitesse d'exécution, augmenter de 20%», assure Stéphane Bergeron, un médecin devenu entrepreneur. Il a été président-fondateur des cliniques d'épilation au laser Epiderma.

En six mois, Brain Center International a vendu 10 000 logiciels au Québec. «Au-delà de toutes nos attentes», dit l'homme d'affaires. Depuis septembre, NeuroActive est aussi offert en anglais et vendu partout au Canada. Le logiciel comprend 22 exercices conviviaux - comme «l'agent de sécurité» et «identique ou miroir?» que La Presse a essayés - qui testent la mémoire visuelle et les habiletés visuo-spatiales.

La version sur vélo de NeuroActive est maintenant offerte dans une quinzaine de centres de conditionnement physique au Québec. Après une période d'essai et une amélioration de la bicyclette, Énergie Cardio lance maintenant l'appareil dans son réseau. «C'est original. On l'offre comme une attraction supplémentaire, sans prétentions scientifiques, souligne Alain Beaudry, président d'Énergie Cardio. Ça fait passer le temps et les clients s'amusent en pédalant. Si ça entraîne vraiment le cerveau en plus, c'est tant mieux.»

NeuroActive aurait été concocté à partir d'études internationales. «Ça ne prouve rien», affirme la neuropsychologue Sylvie Belleville. Ses travaux sont d'ailleurs cités, sans son accord, par Brain Center International afin de valider le logiciel. «Ça n'a rien à voir avec ce que je fais, c'est complètement différent», insiste la spécialiste.

Le hic avec NeuroActive, c'est qu'il n'a jamais fait l'objet d'un essai clinique randomisé. «On l'a testé sur nous-mêmes», dit Stéphane Bergeron. Pas suffisant. «Oserait-on vendre des médicaments sans les avoir testés? Le consommateur doit être conscient que plusieurs logiciels, même s'ils reposent sur de bonnes idées et s'inspirent d'études scientifiques, n'ont jamais été sérieusement testés. Ça ne veut pas dire que c'est mauvais; peut-être même que ça aide pour l'attention, mais on ne doit pas s'attendre à des miracles.»

«Donnez un coup de fouet à vos cellules grises.» «Développez votre QI.» «Maintenez votre cerveau en forme.» Les livres d'entraînement cérébral, aux formules accrocheuses, sont plus nombreux que jamais dans les librairies. Souvent amusants, ils ont aussi leurs limites.

«On n'a pas conclu que la biblio-thérapie est très efficace, du moins chez les personnes âgées, explique Sylvie Belleville. Si j'apprends à mémoriser des listes de chiffres, ça va m'aider à mémoriser des listes de chiffres. C'est très spécifique. Ça ne m'aidera pas à me souvenir de mon rendez-vous du lendemain ou du nom du cinquième voisin.»

«Il faut plutôt enseigner des stratégies de mémoire. Quand on est seul à la maison avec son livre, on ne peut pas constater l'efficacité de ces stratégies. C'est embêtant, parce que ça peut donner de faux espoirs. Si une personne s'investit à fond là-dedans et ne voit pas de changement, elle risque d'abandonner. Ça peut parfois mener à une déprime.»