Les Allemands sont les champions européens des innovations, fiers d'être à l'origine du MP3 ou du fax, mais ce sont souvent des groupes étrangers qui en profitent.

Qui se souvient qu'un laboratoire de recherche d'Erlangen, ville moyenne du sud de l'Allemagne, est détenteur du brevet du format de musique MP3, qui génère aujourd'hui des bénéfices juteux pour Apple ou Microsoft?

«L'idée est venue à la fin des années 1970 d'un professeur d'Erlangen», raconte Matthias Rose, responsable marketing au Fraunhofer Institut. «La concurrence était rude, il y avait quinze projets différents pour obtenir l'homologation internationale», se souvient Bernhard Grill, un des six inventeurs du MP3, dans un entretien à l'AFP.

Ce sont finalement les Allemands qui remportent la mise. «Mais les cinq premières années n'ont pas été un succès, on nous disait que c'était trop compliqué», selon lui. Ajoutant: «Les premiers clients étaient de petites entreprises pour relier des studios de radio entre eux, comme lors des Jeux olympiques d'Albertville en 1992».

Finalement, il faut attendre des ordinateurs plus performants et les développements d'internet pour que le MP3 connaisse un succès fulgurant.

Le brevet rapporte aujourd'hui «des millions d'euros» au Fraunhofer Institut, selon M. Rose, mais aucun géant industriel allemand n'en a réellement profité. Tout un symbole dans un pays qui invente mais ne sait pas en tirer profit, selon des experts.

La liste est longue: une première version d'un moteur hybride conçu au début des années 1970 --bien avant que le japonais Toyota lance la fameuse Prius--. Même chose avec le premier fax qui ne convainc pas dans les années 1950, ou la technique LCD pour les écrans plats, qui rapporte gros au détenteur des licences, le chimiste allemand Merck KGaA, mais sont fabriqués en Asie.

«Nous avons des inventeurs mais nous manquons d'entrepreneurs», explique le cabinet Ernst & Young dans une étude parue début juin. A l'inverse des Américains ou des Asiatiques, «on manque d'un esprit d'entreprise en Europe», abonde l'inventeur du MP3.

«Le MP3 est une invention géniale mais elle ne correspond pas à la structure industrielle de l'Allemagne», peu présente sur ce segment, avance pour l'AFP Oliver Koppel, auteur d'un ouvrage sur le sujet. Même chose pour les découvertes du prix Nobel de physique 2007, l'allemand Peter Grünberg, qui permettent d'augmenter considérablement la capacité de stockage des disques durs.

Si le pays est le champion européen en matière d'innovation, avec 18% des brevets déposés auprès de l'Office européen, loin devant le numéro 2, la France (6%), et numéro trois mondial derrière le Japon et les Etats-Unis, c'est surtout dans ses secteurs industriels traditionnels.

«L'Allemagne est vue comme un pays innovant mais plutôt dans (...) les machines-outils ou l'automobile que dans les nouvelles technologies», affirme Ernst & Young.

Il n'empêche, selon l'Institut de conjoncture allemand (IW) basé à Cologne (ouest), le potentiel dormant de brevets allemands déposés sans être exploités atteint 8 milliards d'euros... «Un brevet sur quatre n'a encore jamais été utilisé», selon M. Koppel.

Manque de capital-risque, faiblesse de la trésorerie des petites et moyennes entreprises, diminution des budgets de recherche et développement... Les experts pointent les mêmes causes. Et lancent le même avertissement.

«Avant on croyait que c'était l'augmentation de la population ou celle du secteur industriel qui créaient l'emploi, note Oliver Koppel. Depuis quelques années, l'innovation est devenue le facteur de croissance dominant».