Sebastien Boucher, Canadien arrêté à la douane du Vermont avec de la pornographie juvénile sur son ordinateur portable, se trouve au coeur d'un vaste débat chez nos voisins du Sud. Son histoire, combinée à une quinzaine d'autres cas de fouille d'appareils électroniques, pourrait servir de levier pour encadrer le droit des douaniers américains à inspecter les supports numériques.

Sebastien Boucher, Canadien arrêté à la douane du Vermont avec de la pornographie juvénile sur son ordinateur portable, se trouve au coeur d'un vaste débat chez nos voisins du Sud. Son histoire, combinée à une quinzaine d'autres cas de fouille d'appareils électroniques, pourrait servir de levier pour encadrer le droit des douaniers américains à inspecter les supports numériques.

Les problèmes judiciaires de l'homme de 30 ans, qui détient le statut de résident permanent américain, ont commencé le 17 décembre 2006, lorsque son père et lui ont franchi la frontière de Derby Line, près de Stanstead, après un voyage à Québec.

Le douanier qui a fouillé l'ordinateur, suspectant Boucher après qu'il eut montré des signes de nervosité, a eu la puce à l'oreille en dénichant deux fichiers portant des titres sans équivoque parmi une collection de plus de 40 000 images et vidéos pornographiques. Boucher a collaboré à la fouille, affirmant qu'il téléchargeait souvent des documents pornographiques en vrac sur l'Internet, mais qu'il éliminait à mesure ceux à caractère pédophile lorsqu'il tombait dessus.

L'appareil a alors été saisi et transféré à un service d'enquête spécialisé. En l'allumant, 12 jours plus tard, les enquêteurs ont constaté que le disque dur était complètement crypté avec un logiciel réputé impénétrable. Une ordonnance a alors été envoyée au suspect pour qu'il fournisse le mot de passe. Invoquant le cinquième amendement de la Constitution, qui protège les suspects contre l'auto-incrimination, Boucher a refusé net. Le juge fédéral Jerome Neidermeier lui a donné raison en novembre dernier: «La procédure équivaut à demander à Boucher s'il connaît le mot de passe. Si c'est le cas, il devra faire un choix impossible entre trois options: s'auto-incriminer, mentir sous serment, ou désobéir à la cour», a-t-il tranché. Le gouvernement américain a porté cette décision en appel la semaine dernière.

On sait très peu de chose au sujet de Boucher, sinon qu'il habite à Derry, au New Hampshire, où il travaille comme plâtrier. Joint hier à Boston, son avocat, James Budreau, a refusé tout commentaire.

Parallèlement à cette affaire, l'organisme californien de défense du droit à la vie privée Electronic Frontier Foundation (EFF) a intenté la semaine dernière un recours collectif contre la Homeland Security en lien avec une quinzaine de fouilles d'ordinateurs, de téléphones cellulaires et même de lecteurs MP3 qui ont été fouillés par les douaniers américains. Dans certains de ces cas, les douaniers sont allés jusqu'à «cloner» entièrement le disque dur d'un homme d'affaires, sans donner de justification, pour vérifications ultérieures.

«Le recours collectif que nous avons intenté et la cause de Sebastien Boucher sont étroitement liés, affirme l'avocat Lee Tien, d'EFF. L'enjeu est le même: nous voulons savoir jusqu'où peuvent aller les douaniers dans une fouille de support numérique, et quelles sont les politiques et les procédures qui permettent aux autorités frontalières de saisir ou de copier le contenu d'un ordinateur, d'un téléphone cellulaire, d'une caméra vidéo un d'un lecteur MP3.»

En vertu de deux récentes décisions aux États-Unis, les douaniers américains, contrairement à n'importe quels autres policiers, estiment qu'il peuvent fouiller les contenus d'appareils électroniques sans mandat, sur la base de simples suspicions. «Pour les Canadiens, c'est encore pire; les douaniers n'ont même pas besoin d'avoir des "doutes raisonnables" pour faire une fouille», affirme Lou Brzezinski, président de la filiale de commerce électronique du cabinet d'avocats torontois Blainey McMurtry.

Au Canada, le droit des policiers à fouiller le contenu d'appareils électroniques a récemment été attaqué en Colombie-Britannique dans une cause opposant trois membres présumés des Hells Angels à des enquêteurs de la GRC qui ont saisi leurs téléphones intelligents BlackBerry.

Mesures de protection contre douaniers curieux

Pour le cabinet d'avocats Blaney McMurtry, de Toronto, il n'y a aucun risque à prendre avec les fouilles d'appareils électroniques à la frontière. «Après deux ou trois mauvaises expériences à la douane, nous avons complètement changé nos pratiques: les disques durs des ordinateurs portables ne contiennent plus aucune donnée stratégique«, affirme Lou Brzezinski, associé et président de la division commerce électronique du cabinet.

Toutes les données dont ont besoin les avocats du groupe - dossiers de cour, documents juridiques et autres - se trouvent sur un serveur sécurisé accessible uniquement par l'internet. «C'est une mesure extrême, mais nous ne pouvons pas courir de risque. Deux ou trois de nos avocats se sont fait demander par les douaniers d'allumer leurs ordinateurs aux douanes. Les agents ne sont pas allés très loin, mais ça a fait résonner une sonnette d'alarme chez nous. Si nous nous faisions saisir un disque dur, la confiance avec nos clients pourrait être brisée de façon irréparable.»

La firme a également créé une méthode permettant à ses avocats de désactiver complètement leurs téléphones intelligents BlackBerry pendant qu'ils traversent la frontière. «La connexion au serveur est coupée pendant le temps qu'il faut pour passer l'inspection, explique M. Brzezinski. Sans cela, qui sait ce que les douaniers pourraient trouver sur nos serveurs pendant une fouille.»