Comment s'aimer ou trouver l'amour dans une ville où la menace d'attentat et d'enlèvement est permanente? Pour les jeunes Irakiens de Bagdad, la solution réside dans le flirt à distance, sur Internet ou par SMS, tandis que les mariages arrangés connaissent un retour en grâce.

Comment s'aimer ou trouver l'amour dans une ville où la menace d'attentat et d'enlèvement est permanente? Pour les jeunes Irakiens de Bagdad, la solution réside dans le flirt à distance, sur Internet ou par SMS, tandis que les mariages arrangés connaissent un retour en grâce.

«Le pire, c'est un jour où nous avons entendu une explosion et des tirs tout près». Karim Abdul-Aziz avait alors rendez-vous avec Dalia, 24 ans, dans un café. «Nous ne savions pas si les rues seraient suffisamment sûres pour que nous puissions rentrer chez nous.»

L'incident mit fin à l'un de leurs rares vrais tête-à-tête depuis leur rencontre il y a six mois, quand Karim, vendeur sur un marché de Bagdad, a glissé son numéro de téléphone dans le sac de Dalia.

Aujourd'hui, les deux tourtereaux discutent en moyenne deux heures par jour, plutôt la nuit. L'opérateur de téléphonie mobile local propose des réductions importantes entre minuit et midi. «Nous ne nous sommes vraiment vus qu'un petit nombre de fois», note Karim d'une voix où perce le désespoir.

Depuis l'invasion des troupes américaines il y a quatre ans, Bagdad est devenue méconnaissable. Plus rien dans la ville n'invite à la romance. Les rues sont bardées de barbelées et de drapeaux noirs; des monceaux d'ordures empuantissent les rues, faute de ramassage; des hommes armés complètent le tableau.

Les jeunes femmes n'osent plus sortir seules, même dans la journée. Les lycéennes et les étudiantes se déplacent en groupe et se font conduire en cours par des taxis de confiance ou des proches. Les amoureux craignent aussi les fondamentalistes religieux.

La fête n'est qu'un souvenir. Les rues de Bagdad se vident bien avant la nuit. Le Théâtre national, le seul encore ouvert à Bagdad, ne joue que le matin, sans aucune publicité, pour limiter les risques d'attentats et d'enlèvements. La plupart des autres lieux de rencontre -cinémas, cafés, fast-foods, glaciers- ont fermé.

Dans ce contexte, les téléphones portables, introduits après la chute de Saddam Hussein, sont devenus indispensables pour flirter à Bagdad, échanger de tendres messages et garder le contact. Internet, désormais très répandu, est également apprécié des jeunes Irakiens pour rencontrer l'âme soeur.

Les sites de rencontres servent toutefois principalement à arranger des mariages avec des Irakiens émigrés. Il est devenu si difficile de rencontrer quelqu'un que de plus en plus de jeunes femmes diplômées acceptent d'épouser des hommes bien plus âgés qu'elles, pour peu qu'ils soient riches ou disposent d'un permis de travail à l'étranger.

«J'ai vu de mes propres yeux des jeunes filles de 16 ou 17 ans épouser des hommes beaucoup plus vieux juste pour pouvoir venir ici (en Grande-Bretagne). Leurs familles étaient d'accord, elles les y avaient même encouragées», a raconté à Associated Press Hala, auteure du blog «Madly in love with Irak» (Follement amoureuse de l'Irak).

Même la télévision est désormais prise d'assaut par les postulants à l'amour. Ainsi peut-on voir défiler ces annonces assorties d'un numéro de téléphone, en bas de l'écran, sur la chaîne privée Mashriq: «Je souhaiterais faire la connaissance d'une femme divorcée», ou «J'aimerais rencontrer une femme de Bagdad qui devienne le premier amour de ma vie».

Ali Moshen, 24 ans, «fréquente» Samar par téléphone interposé depuis 2004 mais n'a jamais eu de vrai rendez-vous avec elle. Les parents de la jeune fille refusent de la laisser sortir seule. «Avant, je la voyais souvent de loin, quand elle venait voir son oncle, notre voisin, mais il a déménagé», explique-t-il. «Alors maintenant, nous convenons d'une heure à laquelle je passe devant chez elle, et je la regarde à sa fenêtre.»