Si vous avez lu La Presse ces derniers jours (en particulier notre édition de dimanche) il a été amplement question de papier et d'encre électroniques. Nous en avons présenté les particularités techniques, les variétés de leurs formats, le nombre croissant de leurs fabricants, les marchés qui s'apprêtent à les adopter. Mais nous n'avons pas encore parlé du point de rupture.

Si vous avez lu La Presse ces derniers jours (en particulier notre édition de dimanche) il a été amplement question de papier et d'encre électroniques. Nous en avons présenté les particularités techniques, les variétés de leurs formats, le nombre croissant de leurs fabricants, les marchés qui s'apprêtent à les adopter. Mais nous n'avons pas encore parlé du point de rupture.

Le point de rupture, dans le cas qui nous occupe, est ce moment de l'histoire où la lecture du papier électronique ne sera plus une pratique futuriste ou avant-gardiste mais bien une pratique inscrite dans les moeurs de la majorité. Imaginez les bouleversements qui s'annoncent dans le vaste domaine de l'imprimé, jusqu'à maintenant épargné par la révolution numérique!

À court et à moyen termes, les livres, magazines et journaux pourront jouir d'une certaine particularité technologique à laquelle la musique n'a pas eu droit : l'interopérabilité limitée des contenus sur papier numérique, ce qui constitue en soi une mesure de protection pour les entreprises ou auteurs qui vivent des ventes de contenus imprimés.

C'est que le lecteur à l'encre électronique destiné à des contenus précis (abonnement à un journal, à des magazines, à une fourchette de maisons d'édition, etc.) peut constituer une mesure de protection pour les éditeurs et les rédacteurs qui y sont associés. En fait, les premières générations de papier électronique n'induiront pas une interopérabilité aussi aisée que ne le permet la musique ou l'audiovisuel.

«Si plusieurs fonctionnalités peuvent être ajoutées au texte en version papier électronique, cela n'en facilitera pas le transfert sur tous les nouveaux supports de lecture disponibles. Par exemple, un livre qui intègre des effets sonores ne peut être lu et entendu par un dispositif qui n'a pas le son parmi ses fonctionnalités. Autre exemple : si vous avez une encyclopédie en mode papier électronique qui intègre un moteur de recherche, cette fonctionnalité ne peut être applicable sur un lecteur qui ne comprend pas ce même moteur de recherche. Voilà une différence importante avec les formats de compression typiques de l'audiovisuel (MP3, AAC, etc.)», croit le consultant parisien Bruno Rives, dont la firme Tebaldo se propose déjà d'accompagner des éditeurs et groupes de presse québécois dans l'aventure du papier électronique.

Période de transition

Voilà une bonne nouvelle pour le monde de l'imprimé... qui lui permettra de mieux aménager ce qui suivra. Avant que tout ne bascule vers une circulation généralisée des contenus écrits, les entreprises de presse et les maisons d'édition pourront au départ profiter d'une période de transition et ainsi fidéliser leur clientèle avec le papier numérique - en proposant, par exemple, des fonctionnalités à leurs contenus et les e-lecteurs qui y seront associés.

Cette tentative d'harnacher la circulation des contenus peut se comparer un tant soit peu au format de compression (AAC) que préconise Apple pour ses contenus vendus en ligne via le iTunes Music Store, format assortis d'encryptages qui permettent aux contenus d'iTunes de rester (théoriquement) confiné au réseau des propriétaires de iPods. D'autant plus qu'il est beaucoup plus facile de contourner cette différence de format de compression que ne le laisse prévoir les contenus en mode papier électronique; tout internaute le moindrement futé peut réussir la conversion d'un format MP3 au format AAC et ainsi garnir son iPod de contenus non autorisés.

Avec le papier numérique, ce sera plus difficile. À court terme? Peut-être assez longtemps pour fidéliser une clientèle... jusqu'à ce que de nouveaux lecteurs de papier numérique et nouveaux logiciels de conversion soient en mesure d'identifier les fonctionnalités des contenus qui voyagent. Alors là, il pourrait se passer la même chose qui s'est produite avec l'industrie de la musique : les contenus de papier électronique pourraient éventuellement circuler bien au-delà des restrictions souhaitées par les groupes de presse et maisons d'édition.

On pourrait déjà imaginer des scénarios dont celui-ci qui ressemble à la trajectoire récente de l'industrie de la musqiue.

Primo, il devient de plus en plus difficile de rentabiliser la production des contenus mis en vente virtuellement.

Secundo, les industries de la presse écrite et de l'édition tentent de sécuriser davantage leur contenus à défaut de quoi elle perdent des ventes à l'unité.

Tertio, une portion croissante des annonceurs publicitaire migre vers de nouvelles plateformes médiatiques jugées plus avantageuses. Puis certains groupes de presse ou d'édition perdent patience, menacent leur clientèle de poursuites... et finissent par lâcher prise.

Bien sûr, il ne faut pas négliger la force de l'histoire : on ne change pas une pratique millénaire en claquant des doigts! Et les acteurs les plus visionnaires du monde de l'imprimé, en plus de fidéliser leur clientèle avec la technologie de l'encre électronique, lorgnent déjà vers une multitude de façons de récolter des redevances sur les contenus produits par leurs entreprises. Les acteurs de l'imprimé qui se braqueront, cependant, ne survivront pas au point de rupture, c'est-à-dire lorsque le papier électronique remplacera définitivement les contenus physiques.

On vous en passe un papier!

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