Un photographe de Reuters a falsifié ses images de Beyrouth à l'aide du logiciel Photoshop.

Un photographe de Reuters a falsifié ses images de Beyrouth à l'aide du logiciel Photoshop.

Adnan Hajj, photographe pigiste qui travaillait pour l'agence de presse britannique Reuters, trouvait qu'il n'y avait pas assez de fumée sur sa photo d'un raid israélien sur Beyrouth. Il en a ajouté à l'aide du logiciel Photoshop. Quelques jours plus tôt, il trouvait qu'une seule fusée éclairante dans le sillage d'un F-16 israélien ne suffisait pas. Pourquoi ne pas en ajouter deux? C'est ce qu'il a fait. Mauvaise idée. Reuters a retiré les 920 photos qu'elle lui avait achetées. Et décidé de ne plus recourir à ses services. M. Hajj a été pigiste pour Reuters de 1993 à 2003, puis d'avril 2005 jusqu'à tout récemment.

Adnan Hajj a également travaillé pour l'agence Associated Press (AP), de 2003 à 2005. Son directeur photo, Santiago Lyon, affirme que l'AP procède à une vérification de l'authenticité des 193 photos de Hajj qu'elle possède en archives.

Le pot aux roses a été découvert par des blogueurs. Des participants à des sites Web comme Little Green Footballs, Left & Right et The Ace of Spades ont examiné la photo de la fumée au-dessus de Beyrouth. Ce sont eux qui ont découvert qu'elle avait été truquée et qui ont obligé Reuters à s'excuser.

Les grands médias accusés

Bien des blogueurs vont beaucoup plus loin. Ils accusent les agences et les grands médias d'être anti-israéliens et de faire le jeu du Hezbollah. Certains internautes affirment ainsi que les photos du bombardement de Cana, où 28 Libanais ont perdu la vie, sont le résultat d'une mise en scène. Rush Limbaugh, commentateur très écouté à la radio américaine, a invité ses auditeurs à visiter un de leurs sites. Il a ajouté son grain de sel: selon lui, c'est le Hezbollah qui a tué des civils, puis invité les photographes à Cana.

Adnan Hajj faisait partie de ces photographes à Cana. Ses photos d'une petite fille morte dans les bras d'un sauveteur ont fait le tour du monde. Le fait qu'il ait été pris en flagrant délit de truquage est une victoire pour les blogueurs partisans des théories du complot, a souligné Alia Malek, éditrice adjointe du Columbia Journalism Review, au cours d'un entretien hier.

«Cette affaire va encourager les blogueurs qui ont des objectifs politiques, a-t-elle dit. Ils essaient de monter en épingle cette histoire de photo truquée (la photo de la fumée au-dessus de Beyrouth). À Cana, personne ne nie que des civils ont été tués par des bombardements israéliens, pas même Israël. Eux, oui. Maintenant qu'ils ont remporté une victoire contre Reuters, ils vont se sentir encouragés.»

Santiago Lyon, le directeur photo de l'AP, trouve simplement ridicule l'idée que les photos des civils tués à Cana puissent être le résultat d'une mise en scène du Hezbollah. «Il y avait plusieurs photographes professionnels à cet endroit, a-t-il dit à La Presse hier. Ils ont l'expérience du terrain. Ils ne se laissent pas manipuler facilement. Ils savent ce qu'ils font.»

Charles Johnson, du site Little Green Footballs, a dit que les photos truquées d'Adnan Hajj, pigiste libanais, sapaient la crédibilité de Reuters. «Cela jette un doute non seulement sur le photographe qui a fait les modifications, mais sur l'ensemble du système de révision de Reuters, a-t-il dit au Washington Times. S'ils peuvent diffuser une photo aussi maladroitement truquée, combien de photos truquées ou améliorées n'ont pas été détectées?»

Reuters dans l'embarras

Les dirigeants de Reuters ne cachent pas leur embarras. «Cela (le truquage) représente un manquement grave aux normes de Reuters», a déclaré Moira Whittle, qui dirige les relations publiques de l'agence, dans un communiqué publié à Londres. Tony Overman, président du National Press Photographers Association des États-Unis, a dit que les retouches semblaient motivées par des buts politiques.

«Le photographe semble avoir voulu montrer plus de dommages qu'il n'y en avait, a-t-il dit. Les truquages sont une faute éthique très grave. Ils minent la confiance du public dans la photographie de presse et dans les médias. Mais il faut savoir que ce genre de truquage se produit souvent. Le public s'en doute. Cette histoire a du bon: elle va obliger Reuters et d'autres médias à se montrer plus vigilants.»

Ken Irby, directeur du programme de journalisme visuel à l'Institut Poynter, école de journalisme de Floride, estime que ce scandale n'aura pas autant d'impact que l'affaire Jason Blair, journaliste du New York Times qui a inventé plusieurs histoires de toutes pièces dans ses articles. Dans le cas des photos, l'aviation israélienne a bel et bien bombardé Beyrouth... «ce qui n'excuse pas le truquage».

DES PRÉCÉDENTS

Les photos truquées de Reuters ne sont que les dernières en jeu. Il y a deux semaines, l'éditeur du Charlotte Observer a publié des excuses à propos de la photo d'un incendie. Le ciel, en arrière-plan, était trop brun au goût du photographe. Il l'a rendu orange éclatant... et a été congédié.

Un peu plus tôt, les éditeurs d' El Nuevo Herald , journal américain publié en espagnol, ont fusionné une photo de l'Associated Press avec celle d'un pigiste pour créer une toute nouvelle photo, montrant des policiers cubains ignorant la prostitution. Dans ce cas, les éditeurs ne se sont pas excusés.

Aussi:

Photoshop ne sert pas qu'à truquer

Un exemple de photographie retouchée (l'original est à droite)