Ils sont jeunes, ils sont fous des nouvelles technologies et des gadgets. Ils passent des heures à bricoler sur une vieille console de jeux ou un téléphone d'une autre génération pour lui donner une seconde vie complètement inusitée. Portrait d'un phénomène à contre-courant dans un monde où le gadget dernier cri semble obsolète quelques mois plus tard.

Ils sont jeunes, ils sont fous des nouvelles technologies et des gadgets. Ils passent des heures à bricoler sur une vieille console de jeux ou un téléphone d'une autre génération pour lui donner une seconde vie complètement inusitée. Portrait d'un phénomène à contre-courant dans un monde où le gadget dernier cri semble obsolète quelques mois plus tard.

Le jeune ingénieur électronique de Windsor, en Ontario, Aaron Mavrinac, 23 ans, est un bon exemple de cette génération d'accros à l'informatique qui adorent les nouveaux gadgets, mais qui, paradoxalement aiment bidouiller sur de vieux ordinateurs et les modifier pour leur donner une seconde vie.

Dans sa chambre, un ordinateur dernier cri côtoie un Pentium II et d'autres machines des années 80 et 90. Depuis 2005, Aaron s'est fait connaître pour avoir transformé une console Nintendo de la première génération en réveille matin. «J'étais au Village des valeurs, raconte-t-il. Ma copine et ma soeur exploraient les kilomètres de vêtements. Moi, les seules choses intéressantes que j'ai trouvé étaient deux consoles Nintendo. Elles étaient brisées, mais je me suis dit qu'il y avait sûrement quelque chose à faire avec ça.»

Si Aaron n'a pas l'intention de se monter une petite entreprise pour commercialiser son invention, d'autres vendent dans des sites leur gadget recyclé. C'est le cas notamment du Macquarium (les vieux ordinateurs Mac convertis en aquarium), qui est à lui seul un phénomène. De nombreux sites proposent ou bien les trucs pour réaliser soi-même son Macquarium ou bien carrément le produit fini.

Le Hulger (combiné rétro d'un téléphone fixe modifié pour servir de combiné pour un portable), créé par le Londonien Nicolas Roope en est également un bon exemple. D'abord vendu en quelques exemplaires sur eBay, le Hulger est désormais fabriqué en série et vendu partout dans le monde.

Walkman jaune et iPod

Le New-Yorkais John Young, qui a créé un étui pour iPod en vidant le bon vieux baladeur jaune de Sony de ses composantes, a également eu son heure de gloire. Tous les magazines et les sites Web branchés avaient parlé de son RetroPod, et les commandes en provenance des États-Unis, d'Europe et en particulier du Japon arrivaient par dizaines quand Sony l'a forcé à fermer son site. «Je pense qu'ils n'ont pas apprécié que je lance le RetroPod sur mon site le jour du 25e anniversaire du baladeur qui coïncidait également avec le lancement d'un nouveau produit.»

Young, 35 ans, qui bosse dans une grosse compagnie de services Internet, prend la chose avec philosophie. «Mon site était au départ un peu sarcastique face aux branchouillards, et certains n'ont pas apprécié. Mais quand Sony a fait fermer mon site, je suis devenu un martyr, et tout à coup, le RetroPod était devenu fantastique.»

La réaction de Sony était-elle exagérée compte tenu du fait que le RetroPod donnait une seconde vie plutôt sympathique à un objet que le iPod a remplacé et qui nous rappelle notre adolescence?

«Oui, les vieilles affaires reviennent souvent à la mode», conclut John Young.

Nostalgie pour les nerds

Les «technoïdes» seraient donc eux aussi nostalgiques des premiers gadgets qui les ont marqués. À preuve, le retour en force depuis quelques années des premiers jeux vidéo comme ceux de la populaire console Atari.

Evan Hansen, rédacteur en chef de l'édition Internet du magazine Wired, estime qu'il y a effectivement une part de nostalgie dans cette tendance, mais il rappelle que la modification des composantes informatiques avait d'abord pour objet d'améliorer la performance de l'objet sans pour autant se préoccuper de son aspect esthétique. «Puis est venue une mode qui voulait qu'on tente de donner un look plus intéressant au très platte et très beige boîtier du disque dur des PC. Une mode qui s'est terminée avec l'apparition du iMac d'Apple qui démontrait qu'un ordinateur pouvait avoir un design cool tout en étant utile.»

Julie Cosgrove, du magazine californien Ready Made, genre de bible du recyclage et du fait main, croit pour sa part que cette mode trouve ses origines dans le goût qu'ont les gens de bricoler et de personnaliser leur décor, tout en étant conscients des conséquences de la consommation sur l'environnement.

Le magazine, par l'intermédiaire du «MacGyver challenge» (dont le nom est inspiré d'une populaire émission des années 80 mettant en vedette un génie du bricolage qui venait à bout des missions les plus périlleuses), met d'ailleurs souvent ses lecteurs au défi de donner une seconde vie à un objet. «"Dans le prochain numéro, nous allons présenter les meilleures idées pour recycler les imprimantes à jet d'encre, qui semblent construites pour être désuètes ou briser très rapidement.» (www.readymademag.com)

Selon Lyne Lefebvre, professeure à l'École de design, de l'UQAM, ceux qui transforment ces objets tirent leur créativité de la nostalgie mais aussi d'une forme de rejet de notre société de consommation. «Pourquoi acheter un étui en métal à 50 $ alors que personne n'a encore songé à récupérer son vieux Walkman, ultra-solide, à la fois comme cachette et protection parfaite pour cet objet de luxe devenu monnaie courante ? S'employer à réutiliser un ancien Walkman comme étui à MP3 ou iPod constitue le summum du cool, une sorte d'avant-garde, de défense de l'objet considéré désuet avant son heure. Cool parce que plus astucieux, plus original, plus personnel. On ne montre plus son iPod pour afficher sa modernité, on le dissimule, cachant ainsi une conformité. Sa pochette, elle, devient ce que l'on affiche. Si on affiche un vieux Walkman, on n'est ni ringard ni nerd, on devient une sorte de baba cool, le rétro du techno.»

Pierre Laramée, de la galerie boutique Les Commissaires, qui vend des objets design choisis, se montre plus sceptique face à la mode du recyclage. "Le thème de notre prochaine exposition est le recyclage, et je dois vous dire que ce n'est pas si facile de trouver des objets recyclés dont le design est intéressant. On trouve énormément d'objets recyclés, mais le résultat n'est pas toujours heureux. Souvent l'idée est là, mais l'esthétique et la finition laissent à désirer."

Les Commissaires vendent par exemple le Hulger, le combiné sans fil pour cellulaire fait à partir de téléphones fixes antiques. Mais il admet que depuis que le Hulger est fabriqué en série, à partir non plus de téléphones recyclés mais de composantes neuves, il a un peu perdu de son originalité. «Pour moi, l'avenir du design se situe moins dans le recyclage que dans la vision de Michael Braungart qui amène l'idée de 'technological food', de chaîne alimentaire technologique, qui veut que l'on conçoive les objets et les matériaux en pensant à leur deuxième vie. On peut penser, par exemple, aux composantes de la voiture Audi dont les pièces sont conçues de manière à ce que les matières premières puissent être recyclées, ce qu'on ne peut souvent pas faire quand on amalgame les matières. Ou encore à des textiles superrésistants ou à des cellulaires qui seraient biodégradables. Pour moi, ce sont des solutions beaucoup plus porteuses d'avenir et plus créatives.»